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Quid Novi Rock'n'roll ?

Détroit – Horizons, 2013

Du « retour » de Bertrand Cantat, je n'ai pas suivi grand chose tant ça a très longtemps tenu de l'arlésienne depuis l'annonce en 2008 par Serge Teyssot-Gay que Noir Désir projetait d'enregistrer un nouvel album(1) avant de retourner assez sèchement sa veste en 2010. Et Cantat d'apparaître assez sporadiquement à droite et à gauche, invité sur quelques albums, déclenchant totalement injustement quelques scandales sur son passage, comme au Festival d'Avignon en 2011 où il décide finalement de laisser Majdi Mouawad se démerder pour présenter son cycle sur Sophocle sans qu'il interprète sur scène la bande originale créée avec son compère Pascal Humbert, vétéran de Passion Fodder et du groupe franco-américain 16 Horsepower. On pourrait disserter des heures sur l'infamie populaire dont est victime le chanteur de feu Noir Désir ; là n'est pas la question. Toujours est-il que ce qui s'est passé à Vilnius, en plus de briser à jamais l'homme, aura entraîné un tel acharnement contre sa personne et son travail, qu'il a su, probablement plus accablé que jamais, faire profil bas, rasant les murs sans jamais réussir à faire partie des meubles, à se fondre dans le décor et à trouver la paix. Cette discrétion presque nécessaire nous avait quand même privée d'un véritable artiste : autant vous dire que le premier album de Détroit était foutrement attendu.

 

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Et à raison ! Pourtant, pour venir à bout de cette petite merveille de papier, de son et de mots, il faut de la patience et une tendance naturelle à la méditation. Je me rappelle très bien de ma première confrontation avec le single Droit Dans le Soleil, titre co-écrit avec Majdi Mouawad : guitare acoustique, contrebasse à l'archet rugueuse et ce texte grave et magnifique, murmuré plus que chanté, par une voix brisée et tout aussi grave où chaque mot vaut son pesant de tristesse.

 

Et ton coeur au labour des lumières

quand l'amour revient à la poussière

on n'se console pas, on s'enraye

mais on regarde droit dans l'soleil

 

À la croisée des âmes sans sommeil

l'enfer est myope autant que le ciel

on t'avait bien dit que tout se paye

regarde bien droit dans l'soleil

 

Tourne tourne la terre

tout se dissout dans la lumière

l'acier et les ombres qui marchent

à tes côtés

 

Ben, moi qui avait cessé de suivre la carrière de Cantat, désespérant qu'on le laisse un jour chanter en paix, je peux vous jurer que je suis tombé de tout mon haut sur mon cul. Ce morceau est la classe incarnée mais l'essentiel est qu'il est surtout une pure merveille. L'album entier est une fragile alchimie de feutré et de déchirant, tout à l'équilibre où l'infinitésimal peut suffire à faire basculer le château de cartes. Même concentré, on traverse Horizons dans la poussière âpre des déserts où les pensées suivent des jalons invisibles selon un cheminement aberrant si on ne tient serrée la main de sa Muse. Les mots, français ou anglais, en appellent d'autres, les images surgissent et disparaissent avec la même constance, un trip sans navire, un voyage où les compagnons ne sont qu'une présence silencieuse.

 

Horizons, paradoxalement, est avant tout une exploration de l'intime. Si Cantat y expurge quelques démons, bien sûr avec l'incroyable chanson-titre où il raconte le spectre de l'emprisonnement qui traine encore ses chaines cliquetantes quelque part en lui ou encore dans Avec le Temps de Ferré, c'est l'écho chez l'auditeur qui prend le dessus, l'hypnose glissant doucement vers une forme de réflexion matinée de rêveries sans tabous ni morale. La musique, tout aussi ténue et intime, malgré quelques fulgurances rock comme Dans le Creux de ta Main où plane évidemment le spectre de Noir Désir, incite également à s'échapper à soi-même et interpelle les zones obscures de la conscience. Elle fait aussi passer la pilule sur quelques lourdeurs dont Cantat n'arrive toujours pas à totalement débarrasser ses textes comme sur Ma Muse qui ouvre l'album où certains vers magnifiques en côtoient des bien moins inspirés.

 

Alors que veux tu que je te dise

je prends ce que tu donneras

la pierre est précieuse et magique

maintenant je sais que tu es là

d'antennes en satellites autour des météores

je peux puiser dans ton calice

je peux creuser dans ta mine d'or

et sois au rendez-vous

au rendez-vous...

 

Franchement je trouve ça TRÈS beau. Était-il pour autant nécessaire d'aller puiser dans son calice et creuser dans sa mine d'or ? C'est aussi le problème avec une plume de la trempe de celle de Cantat, éprise de poésie : c'est d'un tel niveau que le moindre écart se ressent immédiatement. Je salue, contrairement à mon habitude, l'usage de l'anglais ; sans faire de miracles, le bordelais a réalisé quelques progrès notables et use surtout merveilleusement de l'impact et de la logique totalement différents de cette langue si belle une fois chantée. « Si j'écris en anglais c'est parce que ça me paraît à ce moment-là plus simple, plus direct(2). » Des paroles proférées par Cantat en 2003 qui sont plus que jamais valables ici où on croise deux titres écrits dans un anglais qui a de la gueule : Glimmer in Your Eyes et le second single Null and Void. L'anglais, enfin tient une place importante dans la construction de l'album ; Glimmer in Your Eyes est la seconde chanson de l'album et permet, après un texte en français, d'instaurer dès le début l'anglais, de lui donner sa place, son existence dans le disque. On ne sera donc pas surpris, jeté du wagon, en l'entendant à nouveau employé au sein d'un Sa Majesté en français ; c'est une vieilles habitude d'écriture de Cantat que l'on retrouve avec plaisir. De même, Null and Void se place juste avant de laisser la plume de Ferré mettre un point de suspension aux Horizons...

 

Le mix suit la logique de l'album : c'est incroyablement riche mais aussi très ténu. Le son naturel est respecté pour les instruments acoustiques, tout s'agence parfaitement sans jamais tirer franchement vers le gros son, même si Dans le Creux de ta Main, le final de Horizons et quelques autres morceaux sont nettement plus musclés. Mais d'une manière générale c'est l'aspect organique qui est mis en avant, sa richesse, sa rudesse aussi, sa fragilité... D'ailleurs, la compression générale est très discrète, très transparente et moins poussée que sur l'immense majorité des disques : ne pensez même pas à écouter ça sur les enceintes de votre ordinateur portable – une idée déplorable quel que soit l'album, il est vrai –, le disque ne sonne qu'à partir d'un certain volume. C'est une très bonne idée, ça sonne de manière magnifique et participe énormément à l'identité de l'album.

 

Un très beau disque. Merci Cantat, d'être toujours là.

 

 


1 : La Gruyère (Journal suisse, nda.), « Serge Teyssot-Gay et Zone libre : désapprendre la musique », 8 mai 2008

2 : L'expérience des limites, Bertrand Cantat, Dominique Emmanuel Blanchard et Jean Yssev, Le Bord de l'eau, 2003



21/03/2014
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