quid-novi-rock-n-roll.blog4ever.com

Quid Novi Rock'n'roll ?

Neil Young - Le Noise, 2010

PREMIERE PUBLICATION SUR POP SUCKS, ROCK ROCKS EN NOVEMBRE 2010


 

Quitte à avoir ce petit blog sur ma page – qui draine une bonne moitié de la toile comme chacun le sait – autant le rentabiliser et je vais donc tenter de poster quelques chroniques d'album, récents ou non, quand j'en aurais le temps et l'envie.

 

Et l'envie ne me manque pas s'il s'agit d'évoquer la dernière bête de l'irremplaçable Looner – je dis irremplaçable car il faut bien avouer que nous ne profiterons probablement pas de lui de longues années encore, j'y reviendrai – un album bizarre, austère et pas franchement facile d'accès. La guitare électrique est presque exclusivement employée sur les huit titres et on ne peut pas reprocher à Young d'avoir un son aseptisé et un jeu chirurgical : la gratte est grasse, le volume de l'ampli probablement assourdissant pendant la prise de son et, même si selon les propres dires de mon canadien préféré « la guitare sonnait comme Dieu » pendant les sessions, le toucher est à échelle humaine avec cette même maladresse un poil négligée qui fait toute la fragilité et la puissance de son jeu. Rien à voir avec le style de l'ex-Crazy Horse Nils Lofgren – qui sévit avec talent, depuis longtemps maintenant, avec ses compères du E-Street Band – et son style millimétré et plus technique qu'un schéma de réacteur à fusion. La voix non plus n'a pas bougé d'un poil : Neil Young est toujours le porte étendard de la voix de fausset qui part en trémolos à la justesse franchement approximative, le fier ambassadeur d'une technique étrange que lui seul « maîtrise », le porte-parole de la voix de tête pour les nuls – même si nous sommes loin de son incroyable Tonight's The Night, où il tutoyait les sommets du non-chant en pondant quand même un des plus grands disques de tous les temps. Pourtant, même constat que pour son jeu de guitare qui confine souvent au bordélisme le plus réjouissant : ça déboîte, ça tue, ça calme, ça hypnotise les pierres, ça fait chanter les oiseaux, et tout ça, tout ça.

 

 

De plus, la production, signée Daniel Lanois – dont le nom, prononcé à l'anglaise, a donné celui de l'album –, sommité du son s'il en est, est aussi excellente qu'elle déstabilise à la première écoute : la voix est chargée d'une reverb assez sidérante et d'un delay qui ne l'est pas moins tant il paraît brut. La guitare subit elle aussi un traitement de choc complètement délirant mais pourtant diablement bien trouvé : il faut voir comment Young se sert de l'octaver pour grossir son son et créer une ligne de basse torturée – et bordélique elle-aussi – là où cet effet n'est généralement qu'un truc de metal pour grossir le son des sept-cordes. Il faut voir comment le synthétiseur fait sonner quelques parties de guitare – rassurez vous, il s'agit d'un synthétiseur pour guitare, pas d'un bon vieux DX-7 – ou comment le traitement de celle-ci fait qu'elle suffit amplement pour assurer toute la partie musicale sur l'intégralité du disque. Il faut voir... A quoi bon tout énumérer ? Le pari était osé, franchement casse-gueule sur le papier, l'essentiel est que cela fonctionne ; si je vous ai donné l'impression que c'est par la triste magie de la production, c'est faux. Ce disque tient debout par l'opération d'une magie obscure, par la volonté de l'alchimiste Young, par miracle en fait.

 

Walk With Me ouvre le disque et, si cela paraît dénué de toute fantaisie ou d'originalité d'attaquer un disque avec une rengaine à la « tenez-vous la main et marchez avec moi porter l'amour dans le monde » qui renverrait le canadien à la période hippie qui l'a vu s'imposer comme un grand, les premières notes de guitare nous détrompent et le texte, s'il traite bien d'amour, est clairement celui d'un homme qui sait que la mort peut venir cordialement lui serrer la pince à tout moment. « I lost some friends I was travelling with. I miss the soul and the old friendship. Walk with me» Voilà : le ton est donné. C'est vous dire si on se fend la gueule à l'écoute de Le Noise – à ce propos, c'est très désagréable de dire « de Le Noise », mais c'est comme ça, que voulez-vous ? On retrouve la même nostalgie sur Sign Of Love dont le texte est suffisamment touchant pour ne pas virer au pathos auquel son thème le destinait totalement ; on sent globalement une forme de préoccupation, d'angoisse, mais aussi une sérénité, cette espèce de sagesse tranquille, parfois doucettement illuminée et contemplatrice que Neil Young s'est amusé à véhiculer au cours de sa carrière. Sur le magnifique Love And War, on sent ce même recul ; ici il n'y a plus que deux personnes : l'Humanité et le Looner, plus lonely que jamais, qui ne comprend plus. Il regarde et chante, un peu désespéré et résigné : « they », c'est comme ça qu'il désigne ses semblables avec tristesse, se plaçant volontairement en retrait. « When I sing about love and war / I don't really know what I'm saying / I've been in love and I've seen a lot of war / Seen a lot of people praying / They pray to Allah and they pray to the Lord / But mostly they pray about love and war » La chanson, une des seules à la guitare acoustique, est poignante et de longs et récurrents passages musicaux laissent le temps à la rêverie de faire son affaire. Vous l'aurez compris, Le Noise est l'occasion pour Neil Young d'attaquer la rédaction de son testament et pour le monde du rock de se tenir prêt à dégainer les mouchoirs – à carreaux si possible, l'intéressé aurait sûrement apprécié cet ultime clin d'oeil en forme de boutade. D'autres titres, comme Someone's Going Yo Rescue You ou It's An Angry World, viennent secouer un peu l'auditeur, mais l'écoute totale de l'album se fait dans une demi-hypnose, une catalepsie douce-amère qui serre un peu la gorge mais qui a un goût de reviens-y.

 

Je vous fais grâce de mon verdict détaillé : Le Noise est un grand disque, noir et fascinant où l'angoisse et la sérénité se disputent la suprématie d'un Looner vieillissant et brisé.



13/06/2013
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Musique pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 9 autres membres