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Quid Novi Rock'n'roll ?

Willy DeVille, Backstreets of Desire, 1992

 

PREMIÈRE PUBLICATION SUR POP SUCKS, ROCK ROCKS EN DÉCEMBRE 2012


 

 

 

J'en vois déjà qui tirent la tronche parce que je m'apprête une fois encore à vous parler de Willy DeVille au lieu de m'attaquer à du neuf. C'est qu'il y a des artistes comme ça... Des mecs dont le travail vous parle immédiatement ; c'est rare et c'est ce qu'on peut appeler un coup de foudre artistique. Je sais les limites de l'oeuvre de DeVille. Limites dont j'exclus l'héroïne qui a sûrement bousillé sa carrière mais qui a aussi été une telle source d'angoisse et de souffrances qu'elle est devenue une muse mortelle et malsaine, une veuve noire aux pattes caressantes et aux noirs crochets. « I should I've known your were deadly, that was my first mistake », chante-il dans Chieva sur Crow Jane Alley (2004). Précisons quand même aux auteurs en mal d'inspiration que la seringue ne s'est muée en muse qu'après sevrage et que le travail mené pendant son addiction sévère pouvait être aussi quelconque que les vers vaniteux qui couvrent vos brouillons... Ses véritables limites sur le plan artistique sont, qu'en dépit d'un véritable talent d'arrangeur, il n'a pas le génie d'écriture d'un Dylan, l'insolente inventivité d'un Young ; Willy DeVille est un pur chanteur, mais, par contre, là... très franchement à mes yeux c'est le plus beau de tous. Et j'insiste sur le « beau » : il n'a pas seulement une voix qui colle et une maîtrise technique ; Willy DeVille qui chante, c'est la beauté. Platon approuverait même s'il est resté très discret, dans Le Banquet en particulier, sur les questions du rock'n'roll et des artistes qui se shootent un fix dans les loges avant de grimper affronter la foule. Plus sérieusement, c'est toute la différence entre une voix qui va vous coller la niaque à vous donner envie de tout péter, un truc qui va vous secouer les tripes et une voix qui vous contrôle totalement. C'est ça le génie de DeVille, cette force tranquille, cette interprétation tout en maîtrise, bourrée de subtilités, de richesse, d'émotion. Ce n'est pas pour rien qu'il est aussi un grand interprète et qu'il n'y ait pas un seul de ses albums solo, parmi ceux en ma possession, où ne figure pas au moins une paire de reprises. Sur ce point, c'est même fascinant parce qu'il ne se réapproprie pas les chansons plus que ça, il se contente de les orchestrer de manière à ce qu'elles s'intègrent au reste du disque et de les chanter comme elles doivent être chantées, nothing more. Ça peut paraître un peu primaire, mais c'est là aussi qu'on voit tout le discernement de Willy DeVille en action dans un domaine où il sait quoi faire d'instinct. Allez donc écouter sa version de Slave To Love de Brian Ferry, où il ne prend même pas la peine d'ôter la guimauve, tout sûr de lui qu'il est.

J'ai déjà tellement parlé de DeVille depuis que ce blog est blog que je me vois un peu contraint d'endiguer mon flot – et puis il n'est pas suffisamment connu pour que je gagne des ronds en pondant un bouquin sur lui, alors, je ne vais pas non plus me tuer à la tâche(1).

 

BackstreetsOfDesire.jpg

 

Backstreet Of Desire sort en 1992 à une période où l'ami Willy porte fièrement moustache et coupe de mousquetaire depuis un moment. Le bonhomme est clean et continue de faire des albums, parfois très beaux d'ailleurs. Seulement voilà, il a vraiment mis sa carrière en panne : il est respecté en tant qu'artiste et ses disques, sans se vendre pour autant, son généralement salués pour leur production toujours très soignée et pertinente et aussi pour la cohérence de plus en plus grande de sa musique. Si la graine cajun a toujours été présente, avec Loup-Garou en 1995 elle devient le pilier principal autour duquel tout le reste s'articule. Comprenez, DeVille ne fait pas du cajun, c'est un rocker, mais il a depuis longtemps épuisé les sempiternels plans redondants d'un classic rock démodé et usé jusqu'à la corde. Il n'était pas non plus question de singer stupidement une musique qui n'est pas la sienne – ça c'est une spécialité française où tous nos complexes face à la scène internationale s'expriment pleinement et en démontrent au passage tout le ridicule, mais nous y reviendrons dans un prochain billet. Toujours est-il qu'au fil des années, le cajun et la musique de DeVille ont sans cesse renforcé leur étreinte. À partir de la parution de Horse Of A Different Color (1999), on constate que la métamorphose est totalement terminée et discerner un morceau de pur rock cajun comme Turn You Every Way But Loose sur Le Chat Bleu (1980), qui fait volontairement tâche au sein du disque, devient mission impossible, les deux styles ont fusionné de manière beaucoup plus raffinée.

C'est d'ailleurs amusant de constater à quel point DeVille est un type qui a patiemment écouté sa Muse toute sa vie ; à mes yeux il n'a totalement achevé son oeuvre, in-extremis, avant que la mort ne le fauche assez brutalement. On le sentait fasciné par l'Europe, la France en tout particulier ; par les langues latines, l'espagnol bien sûr, mais aussi le français ; mais on le sent aussi profondément américain – jusque dans le sang qu'il partage en partie avec les natifs. Impossible, sachant cela, d'être surpris les choix de DeVille, de son (long) début de carrière à New-York, des sessions d'enregistrement en France et surtout de son exil vers la Louisiane où il s'est véritablement consacré à sa carrière solo. Il est aussi intéressant de voir à quel point cette quête était personnelle et même s'il a signé quelques disques avec Mark Knopfler vers la fin des années 80, elle permet aussi de souligner la relative discrétion du chanteur à propos de son travail ; autant il était exubérant dans son apparence et ses déboires avec la drogue, autant il était méticuleux et soucieux de faire progresser l'oeuvre de sa vie lui-même et en s'assurant qu'il contrôlait le processus.

 

Backstreet Of Desire est donc un peu particulier à mes yeux car, placé dans ce contexte, il est un des derniers disques où l'esthétique que DeVille semblait rechercher depuis le début de sa carrière est encore incomplète. Bien que DeVille touche au but, il a un problème de taille : sa carrière, justement, est, d'un point de vue publique et médiatique, complètement au point mort. Ses disques, ne se vendent pas, il est très peu diffusé en radio(2) et il sait que les royalties de Spanish Stroll(3) ne seront guère plus suffisantes pour continuer. Bref, il lui faut un tube – parce que le système est débile, mais c'est une autre histoire. La seule vraie concession de DeVille pour s'engager sur cette voie concernera la production, plus moderne qu'à l'accoutumée ; chose dont il tirera d'ailleurs très bien parti en intégrant quelques parties de synthétiseur, très maîtrisées, et qui donnent à des morceaux comme Empty Heart, qui ouvre l'album, une couleur particulière et vraiment intéressante. Dans le même genre, les parties de guitare électrique sont taillées à la serpe, pas une note ne dépasse !.. ni une fréquence d'ailleurs vu que tout semble coupé à ras aux bas medium... et encore, bien dégagé derrière les oreilles ! Le son est du coup très tranchant et, même si DeVille est un coutumier du fait, je crois que je n'ai jamais entendu un traitement aussi saignant sur un de ses albums. Étant donné la pléthore d'instruments, les guitares trouvent parfaitement leur place dans le mix et ce son laisse aussi profiter du jeu tout en maîtrise des guitaristes embauchés pour l'occasion. D'une manière générale, le mix est même un cas d'école de professionnalisme, de clarté et de précision : ce n'est absolument pas rock'n'roll pour le coup. N'allez pas croire que la production est bêtement de qualité : elle est vraiment faîte avec intelligence même si le côté vintage d'un Loup-Garou ou des autres disques qui suivront pourra manquer à certains.

Concernant les titres de l'album, les amateurs du chanteur américain ne seront sûrement pas surpris, mais j'ai déjà mes perles et quelques titres que j'ai trouvé excellents : All In The Name Of Love, déclinée en deux versions, par exemple, mais aussi Voodoo Charm pour son arrangement assez dérangeant, I Call Your Name pour le côté « je t'appelle dans la nuit en pleurant, battu par les vents et la pluie » et I Can Only Give You Everything pour sa partie de gratte toute bête mais qui colle tellement bien ! Je décerne une mention spéciale à Bamboo Road qui est juste magnifique. Tous les titres ont cette orchestration rock et cajun, avec pas mal de percussions, des guitares, souvent un peu d'accordéon, etc... le tout avec une production résolument moderne, c'est étrange au début, mais pourquoi pas.

Mais nous parlions d'un tube... Car, depuis Spanish Stroll, si quelques chansons ont rencontré un certain succès, DeVille n'a pas eu d'occasion de faire parler durablement de lui – ou si occasion il y a eu, une petite dose aura si souvent suffit à anéantir la volonté de fournir l'effort de concrétiser celle-ci. Et voilà qu'il a cette idée géniale : faire une reprise de Hey Joe de Billy Roberts en version mariachi. Le tout sonne si naturellement qu'on ne se sent même pas obligé de justifier ce choix : disons que l'histoire de Joe qui va flinguer sa gonzesse fait directement le lien avec le cliché de la fuite obligée vers la frontière mexicaine. Carton plein, retour sous les projecteurs. Le succès de cette reprise a remis Willy DeVille sur le devant de la scène pour un temps, du moins suffisamment longtemps pour qu'il regagne la confiance de sa maison de disque. Tant mieux quand on sait les merveilles qu'il a produites ; et ce dés l'année qui a suivi le lancement de Backstreets Of Desire – avec une tournée en Europe en trio qui a remporté un grand succès.

 

Je ne vois pas en ce disque un des chefs-d'oeuvre de Willy DeVille, mais c'est un passage très important de sa carrière d'une part, et de son oeuvre de l'autre. Je trouvais qu'il représentait un intéressant sujet d'étude. J'aime aussi beaucoup y voir une preuve de la lucidité retrouvée du chanteur : il a su se relancer, calmement, en livrant un disque très maîtrisé, sûrement pas aussi beau que certains qui suivront, mais dont le succès(4) n'est certainement pas immérité.

 

 

 

 

1 : Ouais, je vire capitalo, vous savez, le temps c'est de l'argent, tout ça...

2 : Déconnez pas ! Aux USA c'est très mauvais signe pour vous !

3 : Willy DeVille, Cabretta, 1977

4 : Relatif, hein, n'allez pas gonfler mon propos !



10/09/2013
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