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Quid Novi Rock'n'roll ?

Neil Young – Chrome Dreams II, 2007

PREMIÈRE PUBLICATION SUR POP SUCKS, ROCK ROCKS EN FÉVRIER 2012


 

 

 

Bonjour mes chers amis !

 

Aujourd'hui une chronique d'un album « méconnu » de la tentaculaire discographie du grand Neil Young : Chrome Dreams II. Pourquoi II ? Parce qu'il s'agit du deuxième volet de Chrome Dreams qui pour sa part est encore plus méconnu que sa suite pour la simple et bonne raison que, sauf erreur de ma part, il n'est jamais sorti du studio. Enregistré en 1977, le disque aurait donc dû sortir entre l'excellent Zuma (1975) et le non moins excellent American Stars'n Bars (1977) où l'on retrouve six des chansons du projet original – je crois en revanche avoir lu que d'autres chansons encore ont ensuite fait leur apparition sur d'autres albums – dont la fameuse chanson Like A Hurricane ; ce qui explique du même coup l'hétéroclisme du dit disque. Et donc... trente ans plus tard, le Loner – grand fan de bagnoles, rappelons-le – décide de remettre le couvert avec le disque qui nous intéresse présentement.

 

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Autant le dire tout de suite, ce disque réserve peu de surprises pour qui connaît l'oeuvre dantesque du plus célèbre rockeur canadien de tous les temps : du folk rock hypnotique, parfois électrique, des textes contemplatifs et souvent nébuleux, des rythmiques entêtantes, une voix qui ne sied qu'à son légitime propriétaire... Pourtant... que dire quand on voit un titre de 18 minutes et 13 secondes dès la troisième chanson ? Pas grand chose assurément, tant qu'on n'a pas éprouvé soi-même Ordinary People, pierre angulaire du disque ; un gigantesque monument ancré au sol par sa basse lourde et sa batterie surpuissante martelant inlassablement et jusqu'à la transe son même rythme binaire et obsédant et dont la plus haute flèche est tirée vers les cieux par des voix où règnent l'urgence et des solos saturés et habités qui résonnent comme d'ardentes plaintes teintées de l'orgueil du juste. Et la section cuivre, joue, à la note près et sans jamais en départir, ce damné riff encore et encore... Neil Young bâtit un morceau à la mesure du sujet auquel il s'attelle ; le portrait des petites gens, soucieux de tenir la tôle, de travailler dur et de se battre dans un monde où ils sont possédés par des entreprises et des sociétés dont ils ignorent presque tout et qui ne servent qu'elles-mêmes ; déshumanisées comme un cauchemar kafkaïen, elles distribuent anonymement des salaires médiocres contre un travail dont le bénéfice va à un monde dont ces « ordinary people » ignorent tout et s'en portent bien. « […] employees manned the fleet, the trucks full of products for the mordern home, were set to roll out into streets of ordinary people, trying to make their way to work the downtown people. » En fait on est en plein sur le territoire de Springsteen mais avec les mots de Young, et comme l'américain, le canadien parvient à insuffler ce désespoir, l'exacte force de cette ignorance déchirante qui est celle de ses gens sciemment floués et exploités, quand ils ne sont pas tout simplement broyés, écrasés, absorbés dans des méandres boursiers ou plus bassement argenteux auxquels ils n'entendent rien. « Donw on the assembly line, they keep putting the same things out, the people today, they just ain't buying, nobody can't figure it out, they try like Hell to build the quality in, they're working hard without a doubt, ordinary people. » Et cet espoir aussi naïf et misérable que tout recommence « comme avant », pensée amère pour une vie, déjà pourtant fort modeste, meilleure ; comme si l'évidence que le système les floue n'existait pas. Cet orgueil de travailleur, entre la face voilée et la dignité, à la fois infiniment triste et magnifique est mis à l'honneur dans le dernier couplet, le tout par le prisme d'une vieille motrice que les ouvrier remettent sur pied : « Times will be different soon, they're gonna put her back on line, ordinary people, they're gonna bring the good things back, hard-working people, they put the business back on track, everyday people, they got faith in the regular guy, patch of ground people ». Oui, tout recommencera, point de révolution, point de lutte, chaque système a ses gens ordinaires, ce n'est pas le système la cause de ce statut, mais la nature sociale de l'homme. C'est sûrement là la grande différence avec un Springsteen ou même un Segger ou un Guthrie, Young, sans pour autant se moquer de la valeur des travailleurs et des exploités en tout genre, perce la nature humaine au plus profond quand les autres en font de touchant portraits ou des histoires insinuant l'idée de lutte ou la glorification du monde ouvrier.

 

Mais il n'y a pas qu'Ordinary People sur Chrome Dreams II. Précisons cependant deux choses avant de continuer notre étude : premièrement, si le très long paragraphe qui précède se permet d'être aussi bavard, c'est que la construction de la chanson et la manière dont le sujet n'est finalement qu'un prisme permettant de dévoiler la longueur d'onde de l'âme humaine, les autres chansons – et ce n'est certes pas nouveau chez un auteur comme Neil Young – sont une douce rêverie tirant malgré tout vers des réflexions métaphysiques. Leur sens n'est pas toujours équivoque et c'est tant mieux ; d'ailleurs le Loner a déjà proclamé son aversion pour les leçons de morale. Gageons qu'il déteste aussi donner des leçon de philo. Il y a simplement une part de son écriture où l'introspection se mêle à la contemplation du monde, libre à l'auditeur de l'accompagner sur un chemin aussi tortueux. Deuxièmement, si le disque est très clairement construit autour de sa pièce la plus monumentale, celle-ci n'a pas été enregistrée pendant les mêmes sessions que les autres. Mes sources divergent sur ce point, aussi je ne puis affirmer franchement une date, certains prétendent qu'elle a été enregistrée pendant les sessions de Chrome Dreams premier du nom, d'autres avancent une date plus récente, aux alentours de l'enregistrement de Freedom en 1989. Toujours est-il que la singularité du titre ne réside, à mon avis, pas tant dans le fait que sa conception soit antérieure, mais dans une véritable volonté artistique. D'ailleurs, comme nous allons le voir, les autres titres sont assez différents les uns des autres eux-mêmes ; le processus mis en place reste cependant le même, la cohérence du disque ne tient donc que peu à sa musique.

 

 

Pour mieux me faire mentir, mais aussi pour faciliter l'analyse musicale, je vais quand même parler des chansons en partant de leur accointances musicales. On compte quelques belles ballades qui ne devraient cependant pas faire d'ombre aux plus grands classiques de Young (Beautiful Bluebird, The Believer) et une autre tout simplement magnifique : The Way. C'est presque un seul refrain répété en boucle, avec des choeurs d'enfants originaux et touchant et une mélodie de quelques notes au piano, mais il faut faire cette découverte soi-même pour mesurer le contraste entre l'apparente tendance obsessionnelle de la chanson et sa véritable essence apaisante, aussi douce qu'une étreinte. « The way, we know the way, we've seen the way, we'll show you the way, to get you back home, to the peace you belong ».

Les morceaux électriques valent aussi le détour avec un Dirty Old Man très rock'n'roll et des chorus furieux sur No Hidden Path, une autre belle pièce de près d'un quart d'heure– qui, bien entendu, s'intercale juste avant The Way. C'est là qu'on aime aussi la volonté de l'ami Neil de jouer en live en studio : comme d'habitude, les solos sont tellement bordéliques, à la frontière du temps et de la justesse qu'on comprend très vite que le numéro technique est au placard et qu'on vise ici une musique instinctive, vivante, unique, pas un triste thème prisonnier d'une partition qu'un quelconque besogneux pourrait reprendre à son compte. Toutes les considérations « intellectuelles » des chansons s'expriment aussi ici, comme un reflet dans le monde du sensible, dans la rage des coups de médiator, dans le rougeoiement des lampes surchauffées des amplis, dans la griserie du jeu en groupe et de la pulsation du batteur martelant ses fûts, dans la sueur à qui on laisse trop peu de place dans l'atmosphère aseptisées de bien des studios.

 

Je vous laisse le soin d'apporter une conclusion à cette chronique par une écoute personnelle du disque, je vous jure qu'elle vaut le coup. Sachez, pour la route, qu'un DVD accompagne l'album : il s'agit tout simplement de ce-dernier, dans son intégralité, agrémenté d'images de bagnoles. Se succèdent donc des images de carrosseries, de cad' rutilantes ou non, de vieilles banquettes de cuir... Un délire psychédélique servit par une photographie somptueuse, mais qui ne trouvera sa place que si vous avez malencontreusement gobé les pilules que vendait le gars bizarre dans les toilettes de ce bar qui vous semblait effectivement bien louche avant d'entrer y descendre un Jack... Sur ce : bonne écoute et à la prochaine !



01/09/2013
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