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Quid Novi Rock'n'roll ?

Mountain men - un récit en trois Baffes

La page blanche. Je ne sais pas par où commencer. Je pourrais vous dire que les Mountain Men forment un duo franco-australien comptant parmi ce que j'ai pu voir de meilleur sur scène. Mais ce ne serait pas assez. Parce que de toute manière je vais aussi vous parler des disques... Mais c'est trop classique, ils méritent mieux que ça. Merde, merde, je ne sais pas où je vais... Je ne peux pas gâcher une chronique sur ce projet littéralement sorti de nulle part qui représente si bien ce que le blues contemporain peut faire de meilleur ! Je ne peux pas commencer par quelque chose de construit tant les deux lascars m'en ont fait voir. Brain damage... Je... je aaaaarg. Tout cela aurait sûrement mérité quelque chose de mieux mis en forme, mais franchement, tout me vient en foule. God damn... ça ne devrait pas être si compliqué de vous parler d'un groupe où tout est basé autour de la guitare et de l'harmonica, non ? Figurez vous que si bande de... bande de je ne sais même pas quoi, je perds mes moyens.

 

Commençons par ce qui est le commencement alors. Tout a commencé par un cadeau de Noël : le premier album, Spring Time Coming. Je ne connais pas le groupe. Je sais juste qu'il a joué quelques temps auparavant dans le meilleur café concert de la planète (peut-être à un ou deux près, mais j'en doute) : le Coquelicot, salle bretonne. Bref, je mets le CD dans la platine et mes esgourdes frémissent ridiculement comme celles d'un chaton. La musique joue. Ceci est la Baffe Première.

 

 

 

Spring Time Coming, 2008

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Le premier album du duo s'ouvre par quelques notes de guitare et quelques quatre minutes plus tard vous vous serez déjà mangé une putain de bombe de chanson dans les gencives : Time Is Coming. Et cette seule chanson contient tout ce qui fait de Mountain Men un groupe authentiquement génial : les deux montagnards maîtrisent leur sujet en profondeur, c'est évident, la technique est irréprochable, mais surtout, c'est si musical, qu'avec où sans démonstration de virtuosité, le transport, l'émotion sont là. La guitare, si minimale soit elle comme sur Golden Age, est toujours en jeu avec finesse et justesse. Et si la guitare est en jeu, l'harmonica peut partir en plein délire sans crier gare et explore aussi bien la joie, la cocasserie que le déchirement le plus déchirant. Et ça déchire. Ouch ! Et la voix ! Fuck me ! Le blues, c'est de l'émotion. Cette voix c'est du putain de blues. Hang Me c'est cinq minute de ça, on en oublierait presque la musique qui est pourtant magnifique, mais c'est bien ces cordes vocales où rauque rudesse et douce ivresse vont bras dessus-bras dessous qui suspendent le temps et emprisonnent momentanément votre esprit dans l'éphémère existence du morceau. Une voix qui vous subtilise à vous-même le temps de sa complainte et qui vous relâche avec bienveillance. Mise à part la seconde partie du phénomène, c'est un peu comme l'héroïne, j'imagine. Vous en voulez encore ? : Blues Before My Time (j'y reviendrai), My Anger, She Shines, ou encore l'excellente reprise de Brel, Les Marquises, tant de chansons merveilleuses qui ont la classe des chefs-d'oeuvre et le potentiel des tubes et qui ne laissent plus planer le doute : Spring Time Coming est un foutu bon album.

Avec des chansons qui se posent là, il faut un mix à la hauteur. Si celui-ci ne tutoie pas forcément les sommets en termes techniques, il conjugue deux éléments fondamentaux : intelligence et personnalité. Ça sonne brut, à l'ancienne, presque sec, sans lustrant artificiel à part quelques judicieux petits chichis(1). Pour une musique qui jaillit des tripes comme celle des Mountain Men, c'est un choix qui est aussi intelligent qu'artistiquement pertinent ; les interprètes étant allègrement à la hauteur, ce traitement presque spartiate respecte leur implication et l'humanité de leur jeu. Les arrangements sont eux aussi très discrets et inspirés ; on a choisi de préserver l'essence vitale du groupe pour ce premier album et, le talent aidant, il ne peut y avoir de meilleur ambassadrice.

 

***

 

Poursuivons par le poursuivement, en 2012 sort Hope, le deuxième album studio, que ma douce s'empresse d'acquérir lors d'un concert dans le-meilleur-café-concert-de-la-planète-à-peut-être-un-ou-deux-près que le duo semble avoir adopté comme résidence secondaire et, bien qu'ayant manqué le spectacle pour en donner un autre(2), j'écoute donc la galette. Ceci est la Baffe Seconde.

 

 

 

Hope, 2012

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Allez, ce coup-ci, on va faire ça dans l'autre sens. Car la première chose que vous remarquerez si vous avez attendu « patiemment » la sortie du nouvel album en vous écoutant le premier en boucle, c'est que la production est sensiblement différente. Le mixage évacue totalement l'aridité désertique qui servait de canevas esthétique au premier album pour quelque chose de beaucoup plus moderne ; on peut éventuellement regretter ce choix qui peut sembler dégrader quelque peu la singularité du son du groupe, mais pour ma part, j'apprécie que ce disque marque une vraie évolution et qu'il préserve l'identité du premier disque en tant qu'album en ne la singeant pas bêtement. Surtout que, d'identité, Hope n'en manque pas ! Les chansons étant un peu plus riches et les compositions un peu plus étoffées et plus arrangées, ce mixage plus technique, plus moderne et plus aéré et aérien – même si la percussion, frappée rageusement d'un coup de tatane ancre fermement la musique dans le sol, les forces telluriques - est tout aussi intelligent et pertinent que celui de Spring Time Coming. On notera, entre autres, une très jolie partie d'orgue sur I Hope, un magnifique thème harmonica et violoncelle sur Imidiouane, le plus beau morceau du disque à mes yeux, où les deux instruments évoquent deux amants enlacés, une partie de guitare électrique qui bastonne sur Nothing Zero One ou même un arrangement de cordes très réussi sur Move Up To The Door qui clôt l'album. Plus important que tout : jamais les arrangements ou, plus généralement, les choix de production, ne viennent bouffer le naturel et la force des chansons.

 

Rien ne s'est perdu en route pendant les trois ans d'attente entre les deux disques. On peut même dire que le duo a encore gagné en maturité et en maîtrise. En témoignent les deux reprises de ce disque, un sujet où les Mountain Men sont définitivement parfaitement à leur aise : Smells Like Teen Spirit et Travailler C'est Trop Dur. Oui. Vous avez bien lu. Smells Like Teen Spirit. Cette reprise, excellente, s'intègre dans le disque comme si elle avait été écrite pour lui, sans dénaturer tout ce qui fait la force de l'original ; ça semble aller de soi à l'écoute, mais c'est un sacré exploit. Pour le traditionnel de la musique cajun, Travailler C'est Trop Dur, popularisé par Zachary Richard, c'est déjà plus attendu et bien entendu ça colle à merveille.

 

Pour conclure : Hope est sûrement au moins aussi génial que son prédécesseur. La force est certes plus tranquille, elle n'en n'est pas moins grande.

 

***

 

Concluons par la conclusion. Concert de fin de saison dans le-meilleur-café-concert-de-la-planète-à-peut-être-un-ou-deux-près, après tout ce temps, je vais voir les Moutain Men(3)... Les gars de la montagne vont bientôt prendre possession de la scène, dans une salle bondée à l'atmosphère surchauffée. Les ventilos ont beau tourner tout ce qu'ils peuvent, ils ne font que brasser un air brûlant chargé de sueur. Par hasard, j'ai croisé la partie française du groupe avant le spectacle : Mat', guitare et chant. Deux ou trois têtes de plus que moi, une montagne de barbaque à grosse voix, un ogre. Quand les deux entrent sur scène dans leurs costumes joliment surannés, je me dis, d'une qu'ils vont claquer sous cette chaleur encore renforcée par les projecteurs, et de deux que l'allure de ver de terre débraillé de la partie australienne du groupe, j'ai nommé Mr Barefoot iano, leur donne une allure de Laurel et Hardy. La musique joue. Sous mes yeux cette fois, enfin. Ceci est la Baffe Troisième.

 

Les zikos viennent d'enchaîner quatre concerts en trois jours et la cinquième et dernière prestation de la semaine fut dantesque. Deux heures à fond. Autant les albums studio sont somptueux, autant le duo est hallucinant sur scène. Ils déconnent avec le public, jouent comme des possédés et finissent tellement trempés qu'au moindre de leur mouvement les projecteurs découpent des centaines de gouttelettes tout autour d'eux. Les voir jouer avec cette rage pourtant pleine de maîtrise, cette puissance incroyable qui paraît pourtant si tranquille, c'est un vrai moment d'émotion, d'émotions, même – belle reprise, peut-être un poil ampoulée, avec une belle introduction de Mr Nuspieds-iano-je-joue-de-l'harmonica-comme-un-ouf, qui sait faire le clown avec la palette appropriée, du rire aux larmes, de We Shall Overcome, une des plus belles chansons jamais écrite, selon les critères tordus de mon petit coeur. C'est bien simple, quand est venu le moment de Blues Before My Time, que je place dans mon Panthéon chansonnesque personnel, j'ai senti une petite larme venir rouler contre ma joue. Ce n'était pas de la sueur, même si ça avait un peu le même goût salé dégueulasse. Mais putain : avec tout le temps que je passe à me plaindre de la musique qu'on nous sert à la louche putassière qui ne sert qu'à remplir la mangeoire à cochons des radios et des plateaux télé, j'avais de quoi pleurer de joie : j'avais sous mes yeux deux types probablement fatigués à en crever qui avaient décidé de se crever pour de vrai pour leur public autant que pour leur propre bonheur. Car s'ils simulaient leur plaisir sur scène, ce sont aussi des putains d'acteurs. Faites péter les Oscars. Bref, en partant du bar à l'aurore – nous étions une veille de 14 juillet – après la visite et le boeuf surprise et nocturne de quelques musiciens de Manu Dibango, accompagnés de Cheick-Tidiane Seck, tous en concert au Festival du coin, j'étais un des mecs les plus crevé, bourré et heureux de la planète.

 

***

 

Allez, tant qu'à faire, je vous parle un peu de l'album live acheté le soir même. Ceci n'est malheureusement pas la Baffe Quatrième.

 

 

Mountain Men Live, 2011

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Enregistré à la Bobine à Grenoble dont l'ogre-guitariste est, enfin il me semble, originaire, ce disque est nettement moins indispensable que les deux autres que vous allez me faire un plaisir de courir acheter.

La faute à pas mal de chose. Déjà techniquement, ce n'est pas génial et il faudra impérativement l'écouter sur un gros système pour avoir un peu de rendement ; le son est très compressé et manque de naturel et de dynamique, un défaut récurent sur les enregistrements live, mais ce n'est pas une raison pour ne pas en parler. Le mix est aussi concentré sur les fréquences mediums et, en plus de rendre l'ensemble un peu bordélique, ça ne rend pas justice aux sonorités pourtant riches qui se trouvent elles-aussi pas mal aplaties. Mais l'exercice de l'enregistrement live est excessivement compliqué à mixer, je le concède. D'autre part, c'est un sentiment dont on m'a fait part et que je partage après une nouvelle écoute : on sent les musiciens peut-être un peu tendus dans la première partie du disque, ou du moins pas encore suffisamment chauds. Le petit « cocktail drum » cajun, cajon, charley, cymbales qui vient en renfort sur quelques titres est parfois un peu à côté de la plaque et fout presque le bordel au final. La faute aussi au format live en lui-même, on sent que les musiciens ne s'adressent pas à l'auditeur du disque, mais bel et bien à leur public, ils blaguent avec lui, le prennent à parti, ce qui me fait une belle jambe à moi qui suis vautré dans mon canap' ; quelques digressions et autres moments de parlotte auraient peut-être gagnés à être enlevés...

 

Bien sûr, le disque est aussi bourré d'excellentes choses et il y a foule de très beaux moments, une très belle reprise de Georgia On My Mind du grand Charles (haha...), une belle communion du public et des zikos sur She Shines, qui en fait un des morceaux fort de l'album, mais ce n'est pas aussi bluffant que tout ce que j'avais vu jusqu'alors.

 

En fait, pour vous faire une vraie idée de ce que valent les Mountain Men(4) : achetez leurs albums studio. Pour vous donner une idée de ce qu'ils envoient sur scène : allez les voir, vous ne serez pas déçus du voyage.

 

***

 

Pour conclure pour de bon, je souhaiterais parler très brièvement d'un autre point concernant le blues. Le terme a tellement perdu de son sens : quand on dit blues, s'agit-il de la forme ou du fond ? Parce que dans le blues contemporain on trouve de tout et surtout énormément de blues électrique, ou blues rock, ou d'autres formes de blues instrumental, dont la partie la plus bluesy tient surtout de la forme : les fameuses grilles en douze mesures et trois accords. Chez les Mountain Men on ne la retrouve qu'extrêmement ponctuellement, et tant mieux parce qu'on se ferait sûrement vite chier. Chez eux, même si on a certes une formation acoustique typique, guitare et harmonica et une bonne part de morceaux bien ternaires des familles et qu'on trouve aussi pas mal de plans en picking qui claquent comme il faut, ils ne s'enferment pas dans un héritage formel et peut-être hors de propos. Plus généralement, ils s'accordent le droit de jouer selon leurs envies musicales. Le blues, vous le trouverez beaucoup plus dans le fond et dans l'interprétation tout en tripes ; je pense que c'est le principal, l'âme.

 

Sur ces lourdes considération musicales, je vous annonce que c'est tout pour aujourd'hui ; rendez-vous la semaine prochaine ! Pensez aussi à partager cet article et ce blog et venez donc faire un tour sur la page facebook pour être tenu au courant de toutes les nouvelles chroniques !

 

 

1 : Probablement la meilleure phrase que j'ai écrite, faudrait que je note.

2 : C'est sûrement le seul défaut de ce métier ; on finit par tout louper.

3 : Ce soir là, j'ai fait mon concert, sauté de la scène, balancé la guitare dans la bagnole et pleins gaz direction le Coquelicot !

4 : Je ne peux pas vous dire à quel point je me force à ne pas les appeler les M&M depuis le début de la rédaction de cette chronique... Voilà, il fallait que ça sorte.



05/09/2013
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