quid-novi-rock-n-roll.blog4ever.com

Quid Novi Rock'n'roll ?

BLOG EN GREVE

greve.jpg

 

Mais noaaaaan ! Je déconne !

 

C'est juste que je n'ai absolument pas le temps de vous pondre une chronique aujourd'hui – j'ai un anniversaire à fêter, nom d'une pipe.

 

Ceci étant dit, puisque j'ai pris comme prétexte la grève des intermittents du spectacle – une merveilleuse frange de parasites profiteurs, fêtards et feignants à laquelle j'ai la joie d'appartenir – pour y aller de mes quelques mots sur le sujet.

 

Je vous épargne toutes les considérations liées à nos privilèges et à la manière dont nous grêlons le budget de manière éhontée et sur le dos des gens qui ont eux un travail honnête : si vous êtes un peu renseigné vous savez très bien que c'est de l'entubage grossier habillé de quelques chiffres maquillés comme des voitures volées(1). Un intermittent ne coûte pas plus cher qu'un autre chômeur et la sporadicité de nos périodes d'emploi est compensée par des cotisations sociales élevées. Je ne vous parle pas non plus de ce que rapporte le monde de la culture et du spectacle et dont l'État – et donc la collectivité – perçoit sa part sous forme de taxes ; c'est un marché considérable, bien entendu et c'est tout à fait normal. Je vous fais également grâce de toutes les remarques relatives à ce que signifie être artiste et sur la masse de travail que cela suppose(2)...

 

Non, j'aimerais parler de ce que représente la casse de ce statut – un des fleurons de l'Exception Culturelle Française, selon l'expression consacrée. Pour moi, cette attaque si virulente du MEDEF est purement idéologique. Je vous explique pourquoi. Imaginons que le statut ait effectivement été supprimé comme le syndicat le plus concerné au monde par les dépenses publiques(3) le réclamait... Et bien je n'aurais plus qu'à changer de métier et éventuellement continuer en amateur : et plutôt crever... Je suis, moi, tout petit artiste complètement indépendant, mais en revanche totalement dépendant de ce régime particulier pour pouvoir faire un travail qui me satisfasse artistiquement et je n'ai pas la notoriété et le réseau suffisants pour pouvoir vivre de mes seuls salaires(4) ; je serais obligé de jouer tous les jours pour bouffer ce qui, en plus d'être techniquement impossible étant donné que le simple fait de meubler le calendrier est un aspect du métier à part entière et demande un temps considérable, signifierait des périodes de création réduites à peau de balle et des répétitions tout simplement rayées de la portion réaliste de l'organisation d'un emploi du temps sérieux... Et tous les petits artistes comme moi, tous les petits groupes, tous les professionnels intervenant en marge des gros événements, ceux qui s'aventurent encore dans les petits villages, les Fêtes de la musique et les soirées estivales et qui essaient de proposer quelque chose d'aussi stimulant et artistiquement viable, voire meilleur, que ce que l'ont trouve sur les scènes conventionnées, seraient confronté à ce dilemme : continuer leur activité en sacrifiant la qualité de la dimension artistique et la possibilité raisonnable d'une vie de famille(5) ou même simplement sociale ou changer complètement de branche, sacrifiant cette fois un travail qui s'est parfois construit sur des années(6).

 

Alors oui, la suppression du statut ne signifierait en rien la mort pure et simple du monde du spectacle ; simplement l'épuration des plus modestes. Ça ne vous rappelle rien ? Personne ne voit d'écho avec les petits commerces balayés par les cadors de la grande distribution, la perte du goût du goût avec l'invasion des fast-food, l'agriculture, depuis longtemps devenue dingue avec des exploitations démentes et une production trop importante, la désertification culturelle des campagnes malgré une politique de décentralisation et de déconcentration ? Je ne vous fait pas une petite prêche gaucho-anarchiste ou pire, conservatrice et traditionaliste, je veux simplement attirer votre attention sur la portée véritable de cette attaque. Pour eux, à mes yeux, c'est avant tout un symbole à abattre, la destruction de ce qui fait obstacle à leur idéologie : détruire la Culture et amener le règne de l'industrie culturelle – et la nuance est de taille. Si une telle chose arrivait, nous ferions notre premier grand pas vers une standardisation culturelle et artistique car nous serions à la merci du public, devenu consommateur et sommé de consommé ; et dans un monde où la loi du buzz, de la mode et de la popularité éphémère sont Roi – couronnés par un système médiatique extrêmement complaisant –, je pense que ça serait un beau bordel où la consensualité serait le maître mot. N'étant pas complètement stupide, je sais pertinemment que tout cela a déjà court : mais si les centaines de petits groupes, les milliers de petits artistes qui dépendent de l'intermittence pour vivre venaient à disparaître il n'y aurait plus d'alternative possible : il faudrait accepter de bouffer la soupe que le marché aura daigné balancer dans nos assiettes. Plutôt crever.

 

 

 

1 : Si vous n'êtes pas bien renseigné, je vous laisse le soin d'aller exercer votre esprit critique sur Google en comparant le fossé béant qui se creuse entre les différentes sources qui évoquent le délicat problème de la saltimbanquerie et autres troubadourations. C'est assez éloquent.

2 : Si vous regrettez que je ne le fasse pas voici un petit exercice mental : « Vous avez un spectacle à monter et à faire tourner, vous êtes un artiste aux moyens modestes mais intègre et vous voulez donner à voir un univers qui vous est propre et ne pas vous calquer de manière opportuniste sur les attentes supposées du public ; imaginez comment. » Vous avez deux heures et je ramasse les copies.

3 : Rrrraaaaa, mais rien que ça c'est aberrant ; on sait très bien qu'ils s'en branlent totalement des dépenses publiques...

4 : Je précise pour ceux qui ne connaissent pas le système que c'est un simple régime de chômage : les jours où je ne travaille pas, je suis indemnisé comme n'importe quel autre chômeur. (Je précise à nouveau, que ça me permet de bouffer et que ça s'arrête à peu près là...).

5 : Déjà que ce n'est pas simple tout court étant donné qu'une bonne partie du temps se passe sur la route...

6 : Et des moyens modestes donc encore plus de travail pour arriver à un résultat digne de ce nom...



03/07/2014
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Musique pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 9 autres membres