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Quid Novi Rock'n'roll ?

Mark Knopfler – Sailing To Philadelphia (2000) et The Ragpicker's Dream (2002)

Debout les rockers !

 

Première chronique inédite pour fêter la fin de la saison sur Quid Novi Rock'n'oll ? ! Et comme ça s'arrose, on va parler de quelque chose de très moyennement rock'n'roll parce que c'est moi le boss et que je fais ça comme je veux, ok ?

 

Pour être un des plus gros – et j'emploie « gros » volontairement – groupe de rock de tous les temps, Dire Straits est paradoxalement un des moins rock'n'roll de tous. Des prestations dantesques mais sans folie assurées par des membres au charisme presque totalement négatif(1), Dire Straits n'est pas rock, n'est pas glamour pour deux sous. Pas de fringues qui pètent, pas de tatouages qui chient la classe sur l'intégralité des corps non-musculeux de ses membres, pas de femmes nues qui se fouettent les unes les autres sur scène (2), pas de grosses distos qui arrachent, pas de chambres d'hôtels dynamitées après l'ingestion d'environ un mètre cube de drogues diverses, pas de doute, pas d'erreur, pas de question, le rock chez Dire Straits tient à sa formation guitare, basse, batterie et éventuellement au côté satirique et (gentiment quand même, hein...) mordant de certains textes qu'à un bagage d'excès et de couilles grosses comme le poing. Car, si le rock, premier genre à vocation totalement commerciale à avoir si bien su devenir un véritable courant artistique – ce qui le fait malheureusement, de nos jours où il est ainsi reconnu, verser dans le triste produit culturel, monnaie d'une pièce plus trébuchante que sonnante –, s'est énormément basé sur l'image pour construire ses mythes, Dire Straits ne s'est jamais appuyé que sur sa musique. Et heureusement, cela va sans dire. De ce point de vue en revanche, c'est une totale réussite quoi qu'un peu bâtarde : à la première écoute on est en face d'un rock efficace mais mou et lisse dont le succès sur les ondes n'a rien d'étonnant tant tout cela semble calibré selon les standards insipides des standards de rock FM. Pourtant, leur musique, au moins sur les premiers albums où la prod' était encore à échelle humaine, demande un regard plus attentif et là : miracle ! Dans ce qu'on croyait lisse comme un marbre fraîchement poli, se laissent mirer de subtils motifs au hasard d'un heureux reflet ; dans un solo, qu'on jugeait techniquement irréprochable mais aussi sage que convenu, on se surprend alors à entendre des ornements d'une telle finesse qu'ils passaient jusqu'à lors inaperçus... Finalement, le côté monolithique et rigide de la musique de Dire Straits est avant tout une histoire de véritable maîtrise musicale et est indispensable à cette esthétique d'orfèvre, ce travail du microscopique où le bonheur se trouve à la loupe, où la chaleur du jeu est transmise avec autant de douceur que de parcimonie. Seulement, combiner tout ça avec la gigantesque machine à fric qu'était devenue le groupe sur sa fin de vie a fini par sucer l'énergie et l'inspiration des musiciens et donner des disques comme On Every Street (1991) où, malgré l'expérience et le talent, l'alchimie ne prend pas et où on s'emmerde sec...

 

Je ne veux pas vexer les fans ou insulter les musiciens, mais Dire Straits n'était, à mes yeux qu'un seul homme : Mark Knopfler. Devant le succès délirant du groupe il était devenu important pour lui de s'en débarrasser : quand le rock ne crée pas d'image, il crée un nom dont le prestige a l'écho de celui d'un grand couturier. Et la foule se presse, les thunes pleuvent, la tranquillité est écartelée sur la place publique des conférences de presse, la coke et les putes peuplent les chambres d'hôtel et tout va pour le mieux dans le meilleur de monde où on aime autant les légendes que la futilité mais où la musique elle-même fini bien souvent par se faire dévorer... Qui a pu écouter les Stones après les années 80 ?

 

En solo, et après quand même pas mal de temps après la dissolution brutale de Dire Straits – on ne se débarrasse pas du succès comme ça –, la musique de Knopfler n'a pas franchement changé. Esthétiquement, c'est indubitable, on est pas tout à fait dans le Son qui a fait le succès de Dire Straits, mais l'ADN, et c'est tout aussi indubitable, est préservée. C'est une musique jumelle avec des fringues différentes, mais certainement pas un déguisement de rock star qui veut voyager incognito... Sur les albums solo de Knopfler(3), on retrouve donc tout ce qui faisait le sel du groupe britannique mais pas la fadeur qui avait achevé de l'engloutir : cette voix discrète mais au grain agréable et cette diction hypnotique à la Dylan, ces textes fins et souvent bien trop lettrés pour pouvoir être rock, ce jeu de guitare hallucinant de facilité et de finesse qui est, à mes yeux, avec celui d'Hendrix, bien que dans un style – on pourrait même dire un langage à ce niveau –, totalement différent, le meilleur plaidoyer pour l'intronisation de la stratocaster aux côtés des instruments d'orchestre classique(4)... En résumé, je ne regrette pas Dire Straits : en préservant l'inspiration artistique de son leader de la pression de la notoriété excessive et des attentes de tubes FM déplacées, l'essentiel a été sauvé.

 

Le pire dans cette histoire ? C'est que je ne vais même pas vous parler de chefs-d'oeuvre. Sur les deux albums dont nous allons parler, Sailing To Philadelphia et The Ragpicker's Dream, sortis respectivement en 2000 et 2002 on sent surtout un musicien qui a envie de se faire plaisir et de pondre, quitte à le faire dans son coin, la musique qu'il a en tête avec les musiciens avec qui il a envie de travailler et point barre. Alors forcément, on se trouve face à des disques qui se revendiquent presque comme des oeuvres mineures, quasiment des recueils de chansonnettes composées avec un soin maniaque mais interprétées dans la totale sérénité d'un mec qui se tamponne de savoir si quelqu'un va les écouter et les apprécier se faisant... C'est en revanche assez amusant de constater quelques choix de production marketing : les deux singles qui ouvrent chaque disque, à savoir What It Is et Why Aye Man, sonnent terriblement Dire Straits ; petite concession probablement faite d'un haussement d'épaule à des producteurs qu'on s'imagine facilement courir en tout sens, affolés comme des fourmis sous l'eau de la théière, hurlant qu'ils ne pourraient jamais vendre des disques qui claironnent presque leur totale indifférence à l'idée même qu'ils puissent se vendre... D'ailleurs – et même si la pratique est courante pour des projets bien plus consensuels – Sailing To Philadelphia existe en plusieurs versions sensées correspondre aux attentes des publics américains et... des autres pays du monde ; sur la version américaine la chanson Silvertown Blue se substitue donc à une autre, Do America, inédite chez nous, pour d'obscures raisons arguées des producteurs stressés à l'essence marketeuse(5).

 

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Sailing To Philadelphia n'est pourtant pas loin du sans faute, même si le single What It Is, tout bon qu'il est, semble un peu défigurer l'ensemble : c'est un peu absurde de commencer un disque par une chanson qui est pratiquement à contre-courant du reste de l'album qui lui est très cohérent. Il est aussi un peu dommage que quelques titres, pourtant bons (Prairie Wedding, Wanderlust), traînent quelque peu l'album dans une certaine lassitude car ils créent, de part leur traitement trop minimaliste et leur absence d'énergie, une certaine dépression dans son déroulement. À part ça, le disque est une succession de pièces très bonnes, parfois superbes, présentée avec autant d'entrain qu'un condamné à mort qui écrit ses exigences pour son dernier repas et la tranquillité d'un autre qui enfilerait des perles... La chanson titre, même si son sujet historique n'intéresse probablement personne parmi les amateurs de rock (je vous laisse vous pencher sur le texte et hausser un sourcil), est juste une merveille et le grand James Taylor en personne vient prêter sa voix en bon copain. Et le non moins grand Van Morrison de venir faire de même sur une autre très bonne chanson : The Last Laugh. Mais ma vraie baffe de cet album c'est Speedwat At Nazareth et son violon échevelé qui vient se mêler à la strat' surchauffée du guitariste pour un final instrumental dantesque et tout en finesse ; cette chanson casse la baraque avec ce cocktail assez improbable de nonchalance et de fièvre qui résume assez bien le style de Knopfler. On devine sans peine l'incroyable virtuosité technique du guitariste, elle apparaît ici bien plus par son toucher magnifique que par un déluge de notes jouées à cent à l'heure ; toute l'âme de ses magnifiques improvisations réside dans cette approche qui vient du bide et non de la caboche – ça, par contre, c'est franchement rock ! Autre bon titre, bien qu'il paraisse moins marquant à la première écoute, Sands Of Nevada. J'aime le son éthéré de cette balade où le piano et la guitare tiennent la part belle malgré des parties dénudées comme il faut ; le texte est très classe et la diction comme la voix collent parfaitement.

 

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Sorti deux ans plus tard, The Ragpicker's Dream ne peut tenir la dragée haute à son aîné. La faute à quelques chansons pour le coup franchement pas géniales comme Coyote (vraiment ratée selon moi) ou Fare Thee Well Northumberland qui propose une sorte de blues assez chiant qu'on retrouve quelque peu sur Marbletown où tout repose sur une partie de guitare acoustique assez classe mais pas non plus mémorable... La sobriété ne paie pas toujours. Quelques autres chansons sont volontairement très légères et humoristiques comme Quality Shoe ou Daddy's Gone To Knoxville et, sur l'une comme l'autre, les musiciens s'éclatent comme des bêtes sur fond de pompe ternaire. Quoi qu'il en soit, la tranquillité et la douceur de la voix du britton font merveille sur absolument tous les titres et le disque est bourré de très bonnes surprises : Why Aye Man, le single qui ouvre l'album et défigure beaucoup moins l'ensemble de toute manière assez ouvertement foutraque, est une authentique bombe, Devil Baby et son texte plus cruel que ne laisse supposer la musique est un très très bon morceau et Hill Farmer's Blues est aussi un met de choix, une belle chanson mélancolique balancée avec une classe folle et arrangée par l'Élégance elle-même – putain, écoutez ce petit roulement, suffisamment discret, sur le tom basse qui précède le (trop court) final !

 

Concernant la prod' et le personnel, je vais parler des deux disques en même temps. Il y a une différence très nette d'atmosphère entre les deux, c'est certain, mais ils sont tous deux produits par le tandem Mark Knopfler/Chuck Ainlay et un bon paquet de zikos se retrouvent à jouer sur les deux, dont Guy Fletcher, ex-clavier de Dire Straits – et, à ma connaissance, le seul de l'ancien groupe à avoir continué à travailler avec son leader régulièrement. Concernant les musiciens justement... ils font le taf avec une ferveur qui fait plaisir à entendre. Tout est propre, très propre même, mais tout respire la décontraction, le plaisir du jeu se remarque autant que sa qualité et on ne compte plus les beaux moments que la bande à Knopfler nous offre. D'ailleurs, on remercie le patron, avec sa discrétion naturelle et un bon sens musical à toute épreuve, de leur laisser aussi souvent la parole, jamais trop, mais chaque fois que c'est utile à la chanson et au bonheur des esgourdes de ses auditeurs – le piano de Jim Cox sur The Ragpicker's Dream envoie quelques chorus vraiment jouissifs et plus rigolos que ses parties plus sages de l'album précédent. C'est quelque chose de très rassurant à l'écoute des deux albums : Knopfler, on l'a compris, se fout de se vendre, tout le monde le connaît pour appartenir au peloton de tête des meilleurs guitaristes mondiaux, il le prouve en grand musicien et montre ce qu'il a dans le ventre uniquement quand il le juge nécessaire – bon sang, mais allez écouter Speedway At Nazareth nom d'une pipe en bois, vous m'écoutez quand je parle ou quoi ?! Alors, bien sûr, avec des musiciens de ce calibre, il fallait une prod' à la hauteur et c'est un autre des points forts de ces enregistrements. Le tout peut, à l'instar de Dire Straits, paraître très pro et très lisse, mais le phénomène se répète : c'est une simple affaire de mesure, de maîtrise, de respect... Autant, je suis fan de certains traitements complètement abusifs comme le mixage originel signé John Cale du premier album éponyme des Stooges (1969)(6), autant ce mixage, comme le reste, tout en finesse est absolument brillant car il sait s'effacer au profit des musiciens. Pour autant, il reste exemplaire de qualité et de soin : je ne saurais relever la moindre « fausse note » qui ne soit due à Marco (ouais, maintenant qu'on en parle depuis si longtemps, c'est un pote...) lui-même, comme l'emploi un peu aléatoire d'une boîte à rythme vintage qui devient vite pénible sur A Place We Used To Live et Coyote. Le reste est insolent de classe : mon meilleur exemple est le rendu du jeu de batterie qui respecte tellement bien la qualité et les nuances du jeu de Chad Cromwell – lui non-plus pas démonstratif pour un sous, mais tellement juste. Mieux encore, le tout est fait avec une vraie intelligence et dans les morceaux particulièrement chargés où certains musiciens sont parfois mis en avant au dépend d'autres, les changement de volume sont imperceptibles et une fois telle note, tel petit ornement mis en valeur, tout le monde regagne sa place sans qu'on puisse le remarquer, comme dans un spectacle de prestidigitation.

 

Je conclurais en louant une fois de plus la classe et la discrétion de Mark Knopfler : ce type sait mettre des baffes sans même que vous les sentiez.

 

 

1 : C'est quasiment une marque de fabrique à un tel niveau, d'ailleurs. Voici ce qu'en dit De Caunes, par exemple : « De ce côté là [le visuel, .ndr], c'était […] accablant. Débardeurs légèrement détendus, coupes de douille improbables, light-show de kermesse, on y décelait déjà le sens du spectacle et le raffinement visuel qui feraient la marque du groupe devenu mastodonte dans les années 80. » (In Antoine de Caunes, Dictionnaire amoureux du rock, Plon, Paris, 2010, p. 298). Je vous recommande aussi chaudement un petit coup d'oeil aux quatre petits portraits individuels qui ornent la pochette de Communiqué, deuxième album du groupe sorti en 1979 pour joindre une éloquente illustration à cette petite citation.

 

2 : Déconnez pas, les Stranglers l'ont fait sans complexe aucun... 

 

3 : Mark, on s'entend. Son frère David a lui aussi accouché de quelques disques solo considérés comme absolument mineurs mais que je n'ai pas encore eu l'occasion d'écouter. Ceci remonte cependant à l'époque de Making Movies (1980), où il a quitté le groupe.

 

4 : Enfin, je dis ça comme ça parce qu'en fait, je m'en fout. À donf.

 

5 : Il faudra vraiment qu'on m'explique l'utilité de faire ça sur ce genre de disque dont la vocation commerciale est de toute façon limitée... Surtout qu'on ne prouve aucunement que cela permet de vendre plus de disques. On pourrait avancer, d'un point de vue psychanalytique (de comptoir), que les producteurs qui tiennent les cordons de la bourse (je ne parle pas de ceux qui sont derrière la console) trouvent un soulagement réconfortant dans la mutilation d'une oeuvre artistique : ils la font ainsi passer du statut d'oeuvre à celui de produit, ce qui est un élément rassurant dans leur vision idéologico-capitalisto-pouet-pouet de la musique. Ah les cons, ils n'ont rien compris, mais moi si grâce à mes grandes connaissances en pyschologie... Si vous souhaitez une thérapie, prenez rendez-vous ; j'ai un excellent divan et plein de disques à écouter pendant que vous me parlerez de vos mères en sanglotant. Je précise cependant que j'écouterais plus volontiers la musique...

 

6 : Sur l'édition 2 CD de 2005, le deuxième disque livre quelques exemples de ce qui a été refusé par la maison de disque... On comprend très bien la douche froide qu'ils ont dû se prendre à l'écoute de cette horreur, mais encore une fois, c'est une mutilation d'une certaine manière. Le mixage tel qu'il était envisagé ici n'était qu'un prolongement de la démarche artistique du groupe. En revanche... dans ce cas précis, je ne sais pas s'ils auraient vendu autant de disques de cette manière parce qu'il faut avoir de l'estomac pour entendre ce mix où les cymbales et plus généralement tout ce qui est désagréable à l'oreille, sont mixés excessivement fort par rapport au reste.



29/08/2013
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