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Quid Novi Rock'n'roll ?

Joe Jackson – Big World, 1986

Bonjour à tous !

 

Toutes mes excuses pour avoir séché la chronique de la semaine dernière mais des ennuis personnels pas très heureux m'ont tenu loin de chez moi quelques temps – et m'ont privé de tournée au passage, mais il paraît que les collègues ont très bien assuré sans moi ce que je trouve étrange, voire insultant, car j'envisage ma place de bassiste au sein des Vieilles Margattes sans la moindre espèce de modestie. À peine parti, j'ai un coup de fil de mon pote Renaud qui m'engueule parce que je n'ai pas parlé de Big World dans le blog vidéo consacré à Joe Jackson. Non, mais je vous jure, quel connard ! Mais, comme il est avant tout un bon camarade, quand il parle je l'écoute. Étant à Brest à moment là, je profite de l'occasion pour me rendre à Dialogues Musique rue de Siam : un vrai bon magasin de disques aux tarifs assez relevés mais où il est très rare de ne pas trouver son bonheur – si les mélomanes ou les rockers s'en vont faire un tour par le Bout du Monde et la Cité du Béton, je leur conseille vivement de faire un petit crochet. Je trouve Big World, j'en profite pour me craquer le slip sur quelques autres galettes et me voici donc en mesure de satisfaire M. Renaud Cormier.

 

Big_World_cover.jpg

 

Pour commencer, il faut avoir une sacrée oreille ou un oeil sur Wikipedia pour repérer que ce disque est un live(1). Techniquement c'est une merveille : il y a un paquet de disques de studio qui n'arrivent pas à la cheville de la qualité du son de Big World. Une autre prouesse est l'intensité de la prestation. C'est magnifique. Les musiciens jouent avec autant de ferveur que de maîtrise, il n'y a pas l'ombre d'un pain et Jackson lui-même livre une performance vocale absolument bluffante. Alors bien entendu, il y a un truc : Joe Jackson voulait – avec ses idées bizarres d'artiste – capturer l'intensité du live sans les bruits parasites de la salle. Le public, présent uniquement sur invitation(2), était donc prié de garder sa bouche close et ses mains au fond des poches : chose plus facile à dire qu'à faire tant l'écoute de l'album me donne moi-même envie d'applaudir ma chaine HIFI comme un enfant répondrait à sa télé. Les concerts se sont déroulés du 22 au 25 janvier 1986 au Roundabout Theater à New York City et, même en quatre sessions, la maestria du disque reste incroyable. D'autant plus incroyable, qu'à cette période de sa carrière, Jackson a laissé derrière lui le son rock de ses débuts et que le personnel présent sur scène est relativement conséquent : nonobstant le fait que la musique assistée par ordinateur et la souplesse qu'elle offre n'était à l'époque pas d'actualité(3), c'est d'autant plus compliqué d'enregistrer et par la suite de mixer qu'il y a du monde à qui il faut faire de la place.

 

Les chansons sont du pur Joe Jackson comme Tonight And Forever, où Vinnie Zummo prend un solo de guitare sacrément balèze, ou (It's A) Big World ou encore Home Town : mélodies enlevées, envolées vocales, mi-tempo plutôt soutenu... On trouve aussi quelques perles d'ambiance comme Forty Years ou Shanghai Sky et sa longue intro au piano : un lent morceau absolument magnifique. Survival, morceau très rock, viendra secouer un peu tout ça vers le milieu du disque et Gary Burke ne manquera pas de saisir l'occasion de matraquer sauvagement sa caisse claire. L'ami Joe Jackson laisse parler son talent de compositeur et d'arrangeur tout au long du disque et mêle des gammes qui évoquent bien d'autres choses que la musique occidentale, comme Tango Atlantico, à une base pop comme il l'avait déjà superbement fait avec Chinatown sur Night And Day (1982). Il fait aussi entendre un peu d'accordéon sur Fifty Dollars Love Affair. Pas de fausse note, pas de faux pas, tout est parfait sur Big World, depuis Wild West qui ouvre l'album jusqu'à Man In The Street, seul titre enregistré sans public pendant les répétions, qui le referme.

 

Comme de coutume avec Joe Jackson depuis Night And Day – album inspiré par Cole Porter à qui il rend hommage – chaque album explore un thème précis et Big World ne cache pas son soucis de parler, vastement, du monde et des histoires, plutôt petites que grandes, qui s'y trament. La chanson titre fait voler en éclat tout unité de lieu pour mieux la recomposer : le lieu dont nous parlons est le monde dans son ensemble. « It's a big world – so much to see / It's a big world – so much to do ». Le disque est construit avec le soin maniaque qui caractérise l'approche artistique parfois névrotique de Jackson. Les paroles des chansons sont écrites de manière à fonctionner aussi bien seules qu'en tant qu'ensemble et certains textes laissent un étrange sentiment de cadavre exquis ou de fondu enchaîné. Des marins ou des paumés d'Amsterdam qui vont aux putes dans Fifty Dollars Love Affair on passe à un mariage arrangé dans un pays musulman indéterminé, alors aussi synonyme d'amour impossible, dans We Can't Live Together : « In distant lands / There's no such luxury / You'd give your hand / In pre-arranged matrimony / You'd wear the veil / I'd sit in some café somewhere / Instead of this running around / And this right to be free / So pleased with ourselves but there's one thing I've found / About you and me / We can't be together / But we can't stay apart ».

 

Bâtit sous le signe de l'universalité, Big World joue plus sur ce que ces histoires ont d'humain et sur les sentiments qu'elles font naître que sur la particularité de leur contexte. Les lieux, plus ou moins bien définis, et les histoires dont ils sont témoins ne font que renforcer leur portée dramatique et leur charge émotionnelle : c'est là que Jackson nous invite à chercher le liant de l'Humanité. Nous sommes tous les esclaves de nos joies et de nos peines. Nos cultures respectives peuvent réprimer ou favoriser certains de nos désirs, socialement comme intimement, mais ils n'en reste pas moins que la recherche du bonheur est un Graal que tous tendons à atteindre. C'est simple et sûrement un peu moraliste, mais c'est très vrai et surtout très bien amené et d'autant plus que Jackson sait pointer les absurdités qui entravent cette quête humaine avec, certes un certain pessimisme désenchanté, mais aussi un peu d'humour et le tout avec suffisamment de subtilité pour ne pas affadir le propos. Sur la jaquette on distingue à peine le titre, répété dans tout un tas de langues et d'alphabets différents, tandis qu'une petite caricature de Jackson file vers un astre bleu, valise à la main, perdant son chapeau dans sa course. Une idée qu'il reprend dans le livret où les paroles originales côtoient leurs traductions en allemand, français, italien et espagnol(4).

 

Peut-être que Joe Jackson ne tolère pas de péter à hauteur de cul et que Big World peut sembler un brin prétentieux sur le papier, peut-être que cette volonté d'universalité du propos peut déranger certains. Faites-moi confiance, j'en suis totalement digne, si si, Big World est un grand disque. Si vous n'adhérez pas à la démarche de l'artiste, vous ne pourrez que vous incliner devant la beauté du de l'album et c'est déjà une chose dont on peut se réjouir.

 

À jeudi prochain, chers amis...

 

 

 


1 : La grosse caisse en fera cependant tiquer plus d'un. C'est assez agréable d'ailleurs d'entendre ce son rond et profond quand il est relativement coutumier d'étriquer la rondeur du kick en studio pour renforcer l'attaque.

2 : J'ai du mal à trouver des sources fiables à ce propos, mais je ne pense pas raconter de bêtise.

3 : Bien que la technologie MIDI (qui permet aux ordinateurs et aux appareils musicaux de communiquer) date tout de même de 1983 !

4 : Je pense que chez A&M, ils ont été ravis de découvrir que le livret serait épais comme une bible et que ça allait leur coûter un bras. Rien n'est trop cher pour l'art, non ? Ben peut-être que si, parce que, vu l'aspect spartiate de la mise en page, je pense qu'ils ont limogé le graphiste. C'est multilingue, certes, mais il n'y a pas la moindre photo, pas la plus petite touche de couleur, juste des colonnes et des colonnes de texte...



17/12/2013
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