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Quid Novi Rock'n'roll ?

Willy DeVille - Pistola, 2008

 

PREMIERE PUBLICATION SUR POP SUCKS, ROCK ROCKS EN NOVEMBRE 2010


 

 

Le 7 août 2009, le grand Willy DeVille nous quittait, laissant beaucoup de mélomanes endeuillés et beaucoup d'autres qui s'en tamponnaient royalement. Je dois avouer à ma grande honte que je faisais partie de la seconde catégorie : la musique de M. DeVille et moi-même ne fûmes introduits que courant décembre de la même année. Ce fut donc un deuil décalé pour moi, un retour de flamme façon lame de fond. Après la découverte de Loup Garou (1995) dans les étales de pépites et de boue de mon disquaire préféré de l'Aventinenstrasse à Munich – où les albums coûtent moins cher que l'eau, si, si ! – que la frénésie DeVille s'est emparée de moi. J'ai donc entrepris d'acheter tous les albums. Paf !

 

Mais laissez-moi vous dire un mot du bonhomme qui souffre d'un injuste manque de reconnaissance. Tout commence réellement, après des débuts musicaux « normaux » pour qui n'est pas une starlette conçue en laboratoire, en 1974 avec la création de Mink DeVille à New York City ; un groupe qui sera associé à la mouvance punk à ses débuts. J'ai dit groupe ? Je m'avance : Mink DeVille a probablement été, un temps, un véritable groupe... Un groupe vampirisé et maintenu sur pied dans le même temps par la personnalité de son leader. C'est bien simple, après quelques recherches, il s'avère que tous les postes n'ont cessé de voir défiler de nouveaux musiciens. Comparé à ce qu'était Mink DeVille, les Bad Seeds sont un modèle de stabilité. Un groupe, donc, entièrement dévoué à son chanteur : pas de chorus furieux, juste des petites phrases de huit ou seize mesures – et c'est majoritairement vrai pour toute la discographie studio de DeVille, en solo comme en groupe – pas de mise en avant de telle ou telle personnalité au sein des musiciens, tout le monde tient son rang. Le patron, c'est celui qui a une crinière de marlou et une moustache de marlou et des bottes de marlou et qui fume clope sur clope, laissant négligemment tomber les cendres au sol. Fasciné par la France jusqu'à jouer la caricature la plus totale du dandy-french-lover-un-poil-brigand-des-faubourgs et à y enregistrer plusieurs disques – dont Le Chat Bleu (1980), une perle du rock qui devait détonner sévèrement dans le flashy pailleté des années 80 – il sera finalement bien plus connu en Europe qu'aux États-Unis.

Cela dit, il faut bien rendre à César ce qui est à César, M DeVille a aussi flingué sa carrière tout seul comme un grand par voie intraveineuse. Le cher Gussie, que je salue, me racontait qu'il l'avait vu six fois sur scène à Munich et Berlin et que trois des concerts étaient tout simplement navrants tant le marlou de NYC peinait à tenir la barre – pour les heureux possesseurs du Dictionnaire Amoureux du Rock d'Antoine de Caunes, jetez donc un oeil à son article, c'est assez éloquent sur le sujet.

Toujours est-il que le bonhomme décida finalement de laisser son groupe de côté et de se lancer en solo – aidé un temps par Mark Knopfler. S'installant plus tard en Louisiane, DeVille intègre pleinement la musique cajun à sa tambouille déjà épicée. Au fur et à mesure des disques, il quitte l'espèce de rock new-wave à voix de velours qu'il pratiquait à la fin des années 80 pour revenir à une base de rock classique chargé d'influences blues, cajun, tex-mex, le tout interprété par un DeVille mi-sorcier du Bayou, mi-dandy des quartiers avec un poil de mariachi mexicain sur lequel planerait l'ombre de Bram Stocker. Oui, oui.

 

 

Si je tiens à parler à qui veut bien l'entendre de Pistola, c'est qu'il est le tout dernier album de DeVille et qu'il conclu une oeuvre tout simplement géniale et d'une incroyable richesse. DeVille, poseur devant l'éternel exhibe fièrement ses tatouages de bad-boy un peu mystique sur la jaquette et on voit tout de suite que le dandy a laissé la place à l'indien, au baroudeur usé par les années qui, par sagesse ou lassitude, a posé ses valises et embrassé la vie simple du Bayou.

Si le western poussiéreux de l'extraordinaire Crow Jane Alley (2004) laisse place à l'humidité et aux alligators, on retrouve ce même sentiment de désuétude, d'Amérique aussi profonde qu'authentique, de cette richesse musicale qui fait qu'il subsiste un espoir, que les jeteurs de poudre aux yeux, les imposteurs et les cervelles en tubes qui occupent les médias, n'ont pas encore – et ne pourront jamais – venir bouffer. C'est donc un album un peu improbable en 2009 – quoique la mode est au « vintage », parce que « démodé » n'est pas vendeur et « qu'à l'ancienne » est trop franchouillard, pas assez hype pour les décérébrés branchés qui lancent ce genre de vocable à deux ronds, passons – qui sonne très old-fashioned (na !), aussi bien dans la voix de crooner fatigué quand dans la production, toujours excellente, une constante chez l'artiste. Une voix de crooner « fatigué », qu'il a pratiquement depuis ses débuts ! Elle est ici juste un peu plus enrouée et riche qu'à l'accoutumée. Une voix magnifique, très démodée elle-aussi, avec tremolo pratiquement installé d'office, un grain inimitable, une véritable maîtrise et de très rares envolées qui sonnent comme de fugaces coups de tonnerre.

Relativement court puisqu'à peine plus de quarante-trois minutes et dix chansons s'affichent au compteur, Pistola est un album d'une densité et d'une beauté telle qu'il conclue magistralement la carrière du grand Willy « Twisted nose »(1) DeVille. Avec un titre comme Louise – reprise mainte fois reprise de « Mr Covers » (2), Paul Siebel – le New-Yorkais chante son amour à sa terre d'adoption et affirme une dernière fois son incroyable talent à s'approprier les mots des autres – voir aussi Horse Of A Different Color (1999), composé pour moité de reprises. Mais il montre aussi sa maîtrise de l'écriture et de l'introspection, bien qu'elle n'atteigne jamais le même niveau d'excellence que son chant hanté et envoûtant. Ainsi, il revient sur sa toxicomanie sur Been There, Done That, « Been there, done that, don't do that no more », chanson aux surprenants accents funk et il parle d'amour comme de bien entendu sur When I Get Home, un morceau que je vénère – comme je vénère secrètement Satan – où le manque et l'éloignement sont teintés de regrets et d'actes manqués qu'on se refuse à voir en face. « Everything's gonna be rearranged / Everything's gonna be changed / Honney When I Get Home ». En lisant entre les lignes on voit bien évidemment que le foyer en question pourrait bien être l'au-delà ; ce qui laisse songeur quand on sait qu'il était six pied sous terre quelques mois plus tard. En passant par des titres audacieux et atypiques tels que Stars That Speak ou plus classiques comme l'ouverture So, So Real, il fait aussi le lien avec ses lointaines origines indiennes avec le splendide et rituel Mountains Of Manhattan qui conclu l'album et qui représente symboliquement ses tous derniers mots. Et ça remue.

Aussi varié musicalement que dans les thèmes abordés, la maturité et l'intransigeance musicale de l'artiste éclairent tout le disque : DeVille se fout bien de plaire à ce qui reste de son public, fier Capitaine de son frêle esquif, il règne à bord en maître absolu et s'il concède quelques morceaux SpringStonniens bien rock'n'roll et faciles d'accès, il délivre aussi quelques perles qui se révéleront absolument indigestes pour les amateurs de rock FM, comme le blues-rock bien gras de I'll Do Something The Devil Never Did, la danse rituelle de Mountains of Manhattan qui fait entendre ses tambours et ses flûtes, le blues poussif joué sous le temps de The Band Played On où l'espèce d'invocation de You Got The World In Your Hands où se fait entendre sa « chaleureuse » voix de sorcier. Si les guitares dominent nettement la première partie du disque, on entend aussi quelques merveilles de simplicité, en particulier un petit solo de piano sur Louise, deux ou trois belles parties de steel-guitar, des choeurs virils mais émouvants à pleurer sur When I Get Home... inutile de vous gâcher le plaisir de découvrir tout ça par vous même : musicalement ça ne paye pas de mine, mais c'est tout simplement brillant, mûr et pondéré malgré l'évidente générosité dont l'auteur nous gratifie.

 

Dans l'indifférence générale, DeVille signait probablement son meilleur album solo en l'an de grâce 2008 avant de casser sa pipe en l'an de disgrâce suivant sans guère plus d'écho médiatique. Lui qui disait qu'il était convaincu qu'il vendrait plus de disques après sa mort que de son vivant... je sens que le futur sera cruellement ironique. Qu'importe, c'était un immense artiste, un des plus grands rockers de tous les temps pour moi : excentrique, joyeusement ringard pour mieux moquer la mode, musicien à la maîtrise presque parfaite quand ses veines contenaient assez de sang pour irriguer le cerveau, chanteur d'exception et antidépresseur à double tranchant...

 

1 : Note purement subjective, mais c'est vrai qu'il avait un tarin sacrément gratiné. Qui allait très bien avec sa petite moustache, cela dit.

2 : Idem, sauf pour le tarin, je ne sais même pas quelle tête a le bonhomme.



13/06/2013
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