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Quid Novi Rock'n'roll ?

The Stranglers – IV Rattus Norvegicus, 1977

C'est avec un plaisir sans nom que je vous parle aujourd'hui des Stranglers, un groupe que j'adore pour tout un tas de raison et qui fête cette année ses quarante ans ! Après dix-sept albums studio et au moins une quinzaine d'albums live, la tentation de se livrer à une grande rétrospective sur les Stranglers était grande mais les bras me sont retombés le long du corps devant l'ampleur de la tâche... Au lieu de ça, j'ai choisi de me concentrer sur leur tout premier album sorti en 1977 chez United Artists : IV Rattus Norvegicus(1).

 

Vous ne m'empêcherez cependant pas de vous parler un peu du groupe en lui-même... Nés en pleine explosion punk, les Strangler ont été accusés par les critiques de l'époque d'avoir surfé sur la mode du moment. C'est, du moins à mes yeux infiniment plus compétents, totalement faux car à côté des Strangler les punks sont de charmants moutons attachés à des principes assez sommaires, voire lorgnant du côté bisounours du rock. À l'instar d'un groupe comme The Damned, mais encore un énorme cran au-dessus, les Stranglers n'en n'ont RIEN à battre de RIEN. Un jour ils invitent le public à monter les rejoindre sur scène pour faire la fête, le lendemain ils l'enjoignent avec une autorité sans appel à bien fermer sa gueule au moindre applaudissement, et Burnel de casser la gueule à un journaliste qu'il n'appréciait pas, et les titres misogynes de s'accumuler d'avantage à chaque fois qu'un groupe féministe les pointe du doigt jusqu'à embaucher des danseuses seins-nus en porte-jarretelle qui miment des petite séances de fouet et d'attouchement entre copines sur scène dans une atmosphère de gratuité pseudo-artistique mais de véritable provoc' ras des pâquerettes absolument totale(2)...

Si Jean-Jacques Burnel avait choisi d'être acteur plutôt que de s'expatrier en Angleterre pour y faire

du rock, du karaté et de la moto, je l'aurais très bien imaginé dans un western de Sergio Leone, à la

place d'un Lee Van Cleef par exemple, c'est-à-dire dans le rôle d'un outlaw galeux, cruel et

teigneux(3).

 

Et Antoine de Caune, auteur de cette savoureuse présentation du frenchie du groupe de taxer, plus loin dans son article le groupe de « vénéneux(4) ». Le nom du groupe lui-même porte ce côté menaçant, fourbe, mortel, vicieux, malsain et parfois même frontalement brutal. Les compositions comme les textes mêlent admirablement bien la noirceur et la violence à une certaine sophistication, un raffinement dérangeant. On sent que le groupe et ses membres sont moins bêtes que ce qu'ils donnent à voir, qu'ils ne dévoilent pas tout pour mieux vous duper et vous tomber dessus par derrière juste pour le plaisir(5). Une belle bande de salopards tout en noir dont on ne sait jamais le degré de sérieux ou de pur foutage de gueule.

 

Le groupe, dans sa formation originelle, Hugh Cornwell (guitare, chant), Jean-Jacques Burnel (basse, chant), Jet Black (batterie) et Dave Greenfield (batterie) a perduré jusqu'en 1990, date du départ de Cornwell, jugeant avoir fait le tour de la question avec the Stranglers. Le bougre n'a d'ailleurs pas tort : le groupe a vraiment touché à tout, se foutant royalement de ce que les gens pouvaient bien penser de leurs incessants revirement esthétiques et ce, que les critiques ou incompréhensions viennent de leur(s) maison(s) de disque ou de leur public. Si beaucoup d'albums ne vont effectivement nul part comme le très new-wave (du pauvre) Written in Red (1997), le groupe a au moins toujours fait l'effort d'explorer des horizons musicaux différents. Il faut aussi dire que les bougres ont toujours eu de sérieux arguments : Jet Black par exemple est un batteur de jazz qui a simplement répondu à une petite annonce de Cornwell qui disait chercher « un batteur de rock » parce qu'il s'ennuyait dans son bar et sa fabrique de glace dont les affaires étaient pourtant florissantes. Jean-Jacques Burnel, né à Londres de parents français est aussi un excellent musicien, ayant étudié la guitare classique et Greenfield, quant-à lui, était déjà un musicien professionnel expérimenté au moment de son intégration dans le groupe – suite à une annonce également. Mais qu'importe leur formation et le niveau technique de chacun, les étrangleurs s'en foutent, ils se foutent, au risque de me répéter, absolument de tout... Cette attitude est aussi le garant d'une musique totalement décomplexée, d'un sentiment de légitimité qui attirera des bourres-pif à qui aura l'audace de penser le contraire et surtout, d'une liberté créatrice qui leur permet dès l'album dont nous parlons aujourd'hui de mêler des éléments punk et de rock progressifs alors que ce sont normalement deux musiques parfaitement antagonistes.

 

rattus.jpg

 

Enregistré en quelques jours aux T.W. Studios à Fulham au début de l'année 77 le disque « semble, musicalement, étrangement régressif, évoquant Roxy Music, quand ce n'est pas le psychédélisme des Doors, auquel font irrésistiblement penser les longs solos d'orgue de Greenfield. Pourtant, la fureur est là, en particulier dans le jeu de basse d'une rare violence de Burnel, qui, comme on l'a écrit alors, semble attaquer l'instrument avec des moufles(6) ». Une fois n'est pas coutume, j'entame le coeur de ma chronique par une citation. Je me permets cet écart car celle-ci collait parfaitement avec ce que j'avais à dire du disque... Commençons par le jeune garçon et ses moufles. Sa personnalité bien sentie se partage entre une vive intelligence et un côté sauvage et sanguin(7) et c'est un bonheur qu'elle transparaisse à ce point dans son jeu qui est assurément le premier point fort de l'album. Le son de basse est tranchant et agressif, mais les lignes sont extrêmement inspirées et le jeu tout en rage et en fureur est un pur bonheur. Mixée très en avant, cette même basse bien particulière est un pilier du son du disque et du groupe en général. L'orgue de Greenfield est effectivement mis lui aussi à l'honneur avec beaucoup de longs chorus assez classes entrecoupés de passages très couillons et ceci me permet de parler d'un autre point que j'adore dans cet album : l'alternance entre une vraie classe et une vraie intelligence musicale et des passages d'une bêtise rock totalement assumée ou la bestialité du groupe explose soudainement à la face de l'auditeur. Ce-dernier, encore dans la douce rêverie des chorus de guitare de « Princess of the Streets » se verra soudain balancé un « Hanging Around » sec comme les parties papales pendant sa majeure partie avant de se prendre un solo d'orgue vraiment, vraiment mortel. Il faut aussi souligner à quel point Jet Black et Burnel se complètent admirablement, à quel point les breaks, si basiques soient-ils sont classes et sauvages une fois joués par eux. Hugh Cornwell de son côté... ben il est vraiment impressionnant... Je résumerais sa performance au texte scandé plus que chanté du reggae bâtard et mutilé de « Peaches » où le narrateur regarde les filles sur la plage et commence à avoir du mal à maîtriser ses instincts libidineux : c'est flippant, mais tellement bien foutu. Même le texte, pourtant très simple est d'une classe imparable : « Walking on the beaches, looking at the peaches ». C'est dans le même temps d'une élégance et d'un mauvais goût rare, même d'une point de vue strictement littéraire avec cette allitération simple mais de bon ton et une métaphore qui n'est pas dénuée d'humour ni d'un certain sens du bon mot – et qui n'aurait pas la tentation un petit jeu de mot, justement, avec « bitches » ? Les Stranglers sont un groupe suffisamment libéré pour marier les antagonismes sans même se poser de questions... C'est même drôle de voir que chez eux, les dimensions new-wave et punk sont présentes en même temps, sur le même disque. Sur ce premier album c'est la partie punk qui semble l'emporter, mais on ne peut en aucun cas taxer l'album de disque punk tant les éléments de rock progessif et de new-wave semblent déjà faire partie de l'ADN de leur son...

 

Il y aurait sûrement encore à dire IV Rattus Norvegicus, mais j'estime avoir parler de l'essentiel et que la prochaine étape pour vous, si ce n'est pas déjà fait est d'aller l'écouter ! Alors, certes, j'aurais beaucoup plus parlé du groupe que du disque ; c'est que je tenais énormément à vous parler du groupe en fait...

 

À la semaine prochaine les amis !

 


NOTES :

1 : Je me suis creusé la cervelle pour savoir à quoi correspondait ce putain de nombre en chiffres romains devant le nom scientifique du rat brun commun. Le IV fait simplement référence au nombre de membres du groupe comme l'explique J.J Burnel dans une interview accordée à Christian Eudeline (Christian Eudeline, « Stranglers : J.J Burnel parle » in Juke Box, janvier 1993). Pour ce qui est du rat, je suppose que c'est un simple délire avec le côté sombre et crado de l'album et un clin d'oeil au crépusculaire morceau final : « Down in the Sewer ».

2 : J'avais déjà cité ce lien dans ma chronique sur Mark Knopfler : https://quid-novi-rock-n-roll.blog4ever.com/articles/chroniques?page=7 . Oui, ça n'avait rien à voir, mais j'adore parler de ce spectacle des Stranglers. Il semble que la vidéo soit désormais privée, je tâcherai de retrouver une autre captation du spectacle plus tard. Je vous tiendrai au courant, c'est promis.

3 : Antoine de Caunes, « Strangles, The » in Dictionnaire Amoureux du Rock, Plon, Paris, 2010, p. 574

4 : Ibidem. p. 575

5 : En 1991 ils sortent le premier album chez Epic après avoir foutu le camp de chez EMI qui avait entre-temps racheté United Artists : Feline. La fascination du groupe pour des animaux aussi vicelards n'a pas grand chose d'étonnant...

6 : Michka Assayas (sous la direction de), « Stranglers (the) » in Dictionnaire du Rock, coll. Bouquins, Robert Laffon, Paris, 2000, p. 1860

7 : « […] Burnel est un sujet brillant mais difficile : agitateur politique dans son lycée, il en est renvoyé pour avoir publié un magazine gauchiste. Il est également diplômé en littérature et économie de l'Université de Leeds[...]. Violent, aux allures de voyou charmeur, il dit avoir appris le karaté pour contrôler ses pulsions agressives[...]. », Ibidem., p. 1860



26/06/2014
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