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Quid Novi Rock'n'roll ?

Nick Cave & the Bad Seeds – Henry's Dream, 1992

Allez, ne perdons pas de temps ! On se penche aujourd'hui sur un de mes disques préférés...

 

henrys_dream.jpg

 

Au début des années 90, Nick Cave l'australien quitte l'Europe où il partageait son temps entre Londres et Berlin et s'installe au Brésil où il se re-marrie. Il sera durablement marqué par le pays et son premier album composé là-bas, The Good Son (1990) s'ouvre d'ailleurs par « Foi Na Cruz », chanson adaptée d'un hymne protestant traditionnel local. Le contraste avec le dernier disque européen, l'apocalyptique Tender Prey (1988), est saisissant tant Cave y apparaît détendu, apaisé – dans les limites du personnage tout de même – et plus mélodique que jamais. Là-bas, il observe aussi les mendiants dans la rue, qui chantent pour gagner leur croute...

 

They'd got their acoustic guitars with one or two strings and bang away and made a racket that had

no sense whastoever. It was very violent and seemed to come straight out of the heart. Very

unmusical(1).

 

Le génie de Nick Cave ne dort jamais complètement. Le mauvais génie non-plus. L'australien aime les chocs, il aime confronter les éléments, fracasser les pôles opposés pour une copulation forcée et dérangeante et peut rendre la plus adorable des ballades adolescentes absolument terrifiante. Avec Henry's Dream, le Grand Prêtre du Bizarre, le Prêcheur Fou, le Prédicateur Possédé par le Démon orchestre un rituel alchimique obscur entre les douces mélodies de l'album précédent et la sauvagerie qui a toujours habité son oeuvre. C'est un disque où les aspects intellectuel, littéraire et raffiné de l'écriture et de la musique sont intimement liés à une bestialité primitive et meurtrière, les deux faces de l'âme humaine cousues peau contre peau par une suture sanglante ; comme si le mammifère et le reptilien se corrompaient l'un l'autre sans perdre leur essence.

 

Même s'il ne compte que neuf chansons, je n'en compte personnellement pas une seule que je préfère à une autre et de toute manière Henry's Dream fait partie de ces disques dont l'écoute d'une seule traite est préférable. En effet, Cave développe encore son style très narratif et sans qu'il soit réellement possible de discerner une histoire derrière le disque, quelques personnages vont et viennent et les thématiques se font écho, se croisent et se répondent. Les images morbides, sexuelles, les thèmes religieux et parfois même les saillies fantastiques, voire horrifiques, hantent le disque comme autant de cauchemars dans les rêves d'Henry, le petit garçon qui donne son titre à l'album et auquel un narrateur relativement cinglé s'adresse dans la première chanson. Et quelle chanson : « Papa Won't Leave You Henry » est déjà un choc en soi. La musique est très simple, très directe et livre bataille au texte pour mieux créer le choc émotionnel. Dans le refrain, le narrateur, qu'on devine récemment veuf, assure l'enfant qu'il ne l'abandonnera pas... en éructant des vers qui, ainsi chantés, n'ont absolument rien de rassurant et que des choeurs virils reprennent à tout bout de champ ce qui contribue à rendre le tout plus oppressant encore. Les couplets quant à eux, dévoilent un narrateur qui perd totalement la boule, hanté qu'il est par le souvenir d'une femme qu'il voudrait ramener à la vie, des fulgurances blasphématoires, pas mal d'alcool et d'un réveil à coup de bite contre la joue par un mec en corset... Dans « John Finn's Wife » qui surgit vers la fin de l'album Cave décrit le personnage central, la femme de John Finn donc, avec des images qui glacent le sang où la femme fatale – dans le sens presque littéral du terme – incarne la damnation, la prédation, la mort et où on peut véritablement parler de mise en scène au sein même de l'écriture dans une scène qui flirte avec Lynch, Bunuel, Psycho, Almodovar et un film d'horreur rock'n'roll :

 

Well, midnite came and a clock did strike

And in she came, did John Finn's Wife

Withe Legs like scissors and butcher's knives

A tattooed breast and flaming eyes

And a crimson carnation in her teeth

Carving her way through the dance floor

And I'm standing over the bandstand

Every eye gaping on John Finn's wife

 

Et comme une telle femme, même jeune mariée, n'est certainement pas fidèle à ce pauvre John Finn, elle s'envoie en l'air avec le narrateur dans une scène de fin du monde où deux loups-garous s'entredéchirent :

 

It was a warm and very ferocious night

The moon was full of blood and light

And my eyes grew small and my eyes grew tight

As I plotted in the ear of John Finn's Wife

 

Le pauvre John Finn finira cocu et mort tandis que sa femme et veuve prendra les fleurs de ses cheveux pour les répandre sur le sol où il git... Après le film sous acides on passe en mode symbolisme poétique halluciné ; ce n'est certes pas la mesure qui étouffe ce noir corbeau de Nick Cave...

 

On croisera aussi quelques chansons plus douces sur Henry's Dream comme « Straight to You » où un homme rejoint une femme alors que le monde prend fin, que les océans avalent les montagnes et que le ciel n'est plus qu'orages et éclairs – une démesure quasi Lovecraftienne – ou encore la ballade, dans tous les sens du termes, de « Loom of the Land » qui ressemble plus à l'errance spectrale de deux âmes dans une nuit éternelle qu'à une classique promenade en amoureux... Les thèmes sont noirs, cruels, perturbants, saignants, puent le sexe tordu et corrompu pas un inconscient religieux qui brandit constamment la culpabilité et le jugement de Dieu, tout est fou, démesuré, bestial, cauchemardesque et pourtant... et pourtant il y a énormément de dérision, de second degré et d'humour noir derrière tout ça. Certes Nick Cave dresse de manière artistique une cartographie très précise de l'âme et de la psyché de l'homme en tant qu'esclave de son esprit, qui oscille entre son instinct animal et social, où les deux pulsions morbide et sexuelle affrontent les lois, tabous et règles sociales et religieuses dans un choc d'une brutalité à peine descriptible. Certes Nick Cave met le tout en musique avec un sérieux et un soin parfaitement maniaque. Mais il sait aussi s'amuser, sans le montrer ouvertement, de la cruauté qui semble dicter son univers. Le disque se termine par exemple avec la chanson « Jack the Ripper » qui pastiche l'esprit d'une vieille chanson traditionnelle américaine dont l'australien raffole et dresse le portrait d'une femme qui a l'air d'être une belle connasse et qui crit à Jack l'Éventreur à chaque fois que son mari essaye... de l'embrasser. C'est drôle mais quand on voit que tant de noirceur est prise avec, même juste un peu, de dérision, je trouve que ça rend le tout presque encore plus flippant... d'autant qu'on sent que cette femme manie aussi le désir qu'elle inspire avec une parfaite perversité.

 

Je ne vous fait pas l'article plus longtemps, vous aurez compris que je ne déconnais pas quand je disais que Henry's Dream était un de mes albums favoris. Sachez cependant que Nick Cave n'était pas du tout content de ce disque et notamment du travail du producteur David Briggs(2) qui a insisté pour que le groupe travaille au maximum en live. Cave et son bras droit de toujours(3), Mick Harvey, ont même été jusqu'à remixer presque entièrement l'album en compagnie de leur vieux complice Tony Cohen, ne laissant les mix originaux de Briggs que sur « Brother, My Cup is Empty » et « Christina the Astonishing » - titres qui s'intègrent d'ailleurs parfaitement bien au reste de l'album. Pour ma part, je vois plus un conflit d'égo derrière tout ça. En effet, la production est excellente, les arrangements parfaits et la dynamique de jeu, très finement retranscrite, donne aux chansons l'élan et la force qu'elles réclament. En fait, je vois très bien cette tête de con de Cave ne pas vouloir se plier aux méthodes de travail proposées par le producteur et déclarer que son travail est à chier juste pour lui faire payer le fait de lui avoir tenu tête(4).

 

Allez, il est grand temps de conclure. Henry's Dream est un foutu bon disque. C'est profond, puissant, parfois drôle, parfois psychiquement perturbant, parfois simplement cinglé, mais c'est fait par un foutu génie du mal et un très grand artiste. Si vous vous intéressez aux mystères de l'esprit mais que la psychanalyse vous gonfle et que la spiritualité traditionnelle vous semble un archaïsme désuet et exotique, essayez ce disque et passez aux autres...

 


NOTES :

1 : Dwyer Michael, « Album by album with Nick Cave » in Rolling Stone Australia, Juillet 1998, p. 41 – Attention, contrairement à mon habitude cette référence vient de Wikipedia et je n'ai pas tous les exemplaires de l'édition australienne de Rolling Stone pour vérifier moi-même la source...

2 : Qui n'est rien de moins qu'un des producteurs attitré de Neil Young avec qui il a fait un bon gros paquet de disques – parfois parmi les plus réussis du canadien dont une bonne poignée de chef-d'oeuvres – et ce jusqu'à sa mort en 1995.

3 : Plus maintenant...

4 : Après ce n'est qu'une supposition parfaitement personnelle. J'ai essayé de joindre Nick au téléphone mais il n'a pas répondu. C'est con.



11/09/2014
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