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Quid Novi Rock'n'roll ?

Zachary Richard - Mardi Gras, 1977

Bonjour bande de cinglés !

 

Tout d'abord je vous dois quelques explications à propos de la très longue interruption des chroniques sur le blog et sur laquelle je n'ai pas communiqué, ayant eu la naïveté de croire qu'elle serait beaucoup plus courte. Mes collègues des Vieilles Margattes(1) et moi-même enregistrions un vinyle, La Mer à Boire, et si nous sommes particulièrement fiers du résultat, j'ai rarement été aussi crevé... J'ai bossé absolument tout le temps ces deux derniers mois. Pas la force d'écrire une ligne. Pas l'envie de m'attaquer à une chronique qui m'aurait sorti de la création en cours : ça aurait peut-être été une bonne chose pour ma santé mentale, mais je pense qu'un travail de cette ampleur demande qu'on s'y consacre exclusivement, avec toute sa force, sans distraction, si minime soit-elle. On ne fait pas de bon disque en dilettante. Voilà qui est dit.

Ensuite, je n'ai pas été totalement inactif : j'ai enregistré un nouvel épisode de l'émission qui devrait être intéressant à mettre sur pied, mais je n'ai toujours pas assez de temps pour le montage et je ne veux pas non plus saboter mon travail. Patience donc, il arrivera quand il sera bon, pas avant. D'ici là, les chroniques font leur retour, pas de soucis, on se retrouvera tous les jeudi.

Cependant, ce n'est pas parce que le disque est en boîte et parti à l'usine qu'il ne sollicite pas une très grande part de mon attention ; un disque c'est bien, mais il faut pouvoir en faire quelque chose et tout cela se prépare. Des nouvelles chansons c'est bien mais il faut aussi leur donner un peu de gueule sur scène ; et ça c'est un bouffe-temps hors catégorie(2) !

 

***

 

Aujourd'hui, pour reprendre gentiment, on se penche sur un bon vieux classique : Mardi Gras, le second album de Zachary Richard, personnage sur lequel il convient de s'attarder un peu. Il s'agit ni plus ni moins du plus grand ambassadeur de musique cajun(3) au monde. Ne vous étonnez pas de voir un blanc chanter en créole, c'est la langue de la musique cajun. D'une manière plus générale, le créole est totalement intégré au français encore parlé en Louisiane même si la langue anglaise l'a depuis longtemps supplanté. L'ami Zachary est d'ailleurs issu d'une famille de tradition francophone mais, étant né en 1950, il est avant tout américain et bercé par la culture populaire et les chansons du Top 50. Quand il part s'installer à New York en 1972 pour lancer sa carrière il popularise la musique cajun en la jouant tout simplement comme un jeune homme de son temps qui vit de l'intérieur l'âge d'or du rock'n'roll. Habile, il évite de se cantonner au côté folklorique et se pose avant tout en artiste ; c'est un peu le Ravi Shankar ou le Alan Stivell cajun(4). Pouet.

 

mardigras.jpg

 

On trouve donc sur Mardi Gras bon nombre de traditionnels purement américains mais en langue française fortement créolisée et quelques chansons originales elles aussi chantée dans ce français très particulier. Vous connaissez peut-être Travailler c'est Trop Dur, que chantent encore les Moutain Men chez nous ? Et bien c'est très probablement par la version de Zachary Richard que cette vieille chanson est aussi populaire. Le titre La Porte en Arrière, que chantent toujours les Whiskey & Women, vous évoque quelque chose ? Même chose ! Je ne peux résister à l'envie de vous copier les quelques vers de Après Marcher le Plancher, une des compositions originales, pour que vous preniez la mesure de cette langue incroyable :

 

Ni lune ni étoile vont briller ce soir

J'ai vidé la bouteille 'y'assez longtemps.

J'ai marché des grands trous

Dans mes bots de cowboy.

Après marcher le plancher

Avec les rêves doux de toi.

 

La grande force d'un album comme Mardi Gras c'est de faire une musique cajun moderne sans dénaturer son identité. C'est faire ressentir la fièvre des fêtes de la Nouvelle Orléans avec ses percussions africaines et afro-cubaines, ses choeurs scandés jusqu'à la transe et la foule qui danse pour le Mardi Gras : c'est chose faite avec La Chanson des Mardi Gras. C'est évoquer une musique intensément populaire, celle qui se fait au fond d'un bar enfumé ou autour d'un feu les soirs d'été avec tous ces instruments acoustiques, parfois détournés et faciles à transporter comme la planche à laver et autres percussions, l'accordéon, le violon, la guitare, le lap-steel... Se joignent à la fête de nombreux instruments qui, à l'époque, n'avaient rien de traditionnels : guitare électrique, basse et batterie. N'allez pas croire qu'ils font tâche dans ce décor et c'est là tout le talent de Zachary Richard : on ne sent pas une seule seconde que l'emploi d'une section rythmique purement rock – encore une fois pour l'époque – est une tentative de moderniser un genre poussiéreux ; bien au contraire, on sent avant tout une énorme envie de musique. Il s'inscrit d'ailleurs dans la tradition de la musique cajun qui n'a jamais cherché à se fixer un orchestre folklorique typique – ça c'est pour les touristes – mais d'intégrer systématiquement tout ce qui peut permettre à un musicien de se joindre à la fête. Sans blague, dans ce contexte un type avec une cornemuse ne dépareillerait qu'à cause de son kilt. Un titre comme Viens don' 'vec moi est sûrement le meilleur exemple : on a le droit un rock assez classique chanté en créole pour les couplets et un refrain digne d'une chanson de bar, celle qui se chante solennellement avec la pinte levée bien haut et reprise en choeur par une troupe d'ivrognes qui, la larme à l'oeil, a le coeur pris d'une chaleur soudaine.

 

On va 'woir un bon temps

Danser avec les mignonnes

Sur la Bayou.

Sauter dans l'pirogue

On v'aller faire do-do.

Courtiser toutes les belles 'Cajinnes.

Samedi soir chez les Acadiens.

 

Même quand la musique se veut purement traditionnelle et où les instruments les plus rock ne sont là que pour apporter un peu de pèche à la rythmique, les compositions sont excellentes et laissent aux musiciens de nombreuses occasion de se la donner comme des brutes. Allez donc écouter Ma Louisiane, chanson composée avec le français James Trussart(5) pour vous rendre compte !

 

Dernier point très réussi de Mardi Gras : son mixage. Rien à dire c'est un travail de pro, c'est absolument parfait d'un point de vue technique. D'un point de vue artistique en revanche il est très intéressant : le mix respecte l'acoustique et le son naturel des instruments et place les instruments les plus modernes très légèrement en retrait ; du coup, si ce n'est la basse qui est bien à l'ancienne, le rendu sonore est tout aussi efficace quarante ans après la sortie du disque ; pas mal ! De même, les voix sont très en avant : c'est une musique qui se danse, certes, mais qui se danse à gorge déployée ! Le choix d'une reverb courte et transparente donne au tout un aspect sec qui magnifie le côté naturel du jeu et du son. Les guitares électrique et le lap-steel sur amplis – avec donc la reverb à ressorts de ceux-ci – évitent que cette sécheresse ne soit désagréable, c'est foutrement bien vu et ça sonne du tonnerre de Dieu.

 

Je ne peux pas vous garantir que vous tomberez fou amoureux de la musique cajun après ce disque. Mais c'est un classique en la matière et un très bon album ; ça vaut le coup d'essayer.

 

 


NOTES :

 

1 : Qu'on soit bien d'accord, il ne s'agit aucunement de faire mousser mon groupe, je limite au maximum ce genre de parasitage sur ce blog qui a une toute autre vocation. Maintenant bouclez-là et achetez moi des albums. En plus, sans la moindre forme d'objectivité, ça déchire ça race.

 

2 : Ce qui me fait penser : allez manifester pour défendre le statut des intermittents du spectacle ! Déjà, vous allez bien vous marrer, les gens du spectacle connaissent leur taf et savent se mettre en scène. Ensuite, la disparition du statut signifie l'exécution pure et simple de toute une partie de la vie culturelle dans le sens le plus noble que l'on peut donner à ce mot. Comprenez bien que beaucoup de gens comme moi ne peuvent survivre de leur activité musicale sans ce régime spécial ; certains pourraient certes s'en passer, mais là n'est même pas la question. La suppression du statut c'est condamner tous les petits artistes, ceux qui ne peuvent compter uniquement sur les salaires touchés pour leur prestations. J'espère sincèrement que personne n'a envie de se retrouver avec un paysage culturel partagé entre l'industrie allant heureusement des Stones à malheureusement René la Taupe en passant par Quand il pète il trou son slip et les trucs arty et/ou branchouilles que s'arrachent les salles conventionnées. Pensez-y ! Renseignez-vous auprès de la coordination du mouvement pour connaître toutes les occasions d'aller gueuler dans la rue : http://www.cip-idf.org/

 

3 : On parle aussi beaucoup de musique cadienne qui n'a cependant pas grand chose à voir avec la musique acadienne bien qu'on perçoive évidemment que le premier mot découle du second. Sans vous noyer sous les détails historiques, on peut cependant dire que l'Acadie, province francophone de l'actuel Canada, était autrefois une partie de la Nouvelle-France. Lors des très nombreux et sanglants conflits pour la domination du Nouveau-Monde, les horribles rosebifs tout de rouge vêtus ont gagné ce territoire sur les abominables bouffeurs de fromage et ont foutu tout le monde à la porte pour boire le thé tranquille avec le petit doigt en l'air et ne pas souffrir l'insupportable présence des colons français arrachés au pinard, tirant en l'air au fusil et pratiquant le concours de pet du soir au matin. Ces populations ont donc échoué sur ce qui fut le tout dernier territoire à être cédé, non pas aux abominables brittons aux nez disgracieusement retroussés, mais aux États-Unis d'Amérique tout fraîchement constitués : la Louisiane. La musique acadienne et cadienne sont donc à distinguer ; les acadiens expatriés ont effectivement apporté leur influence – et leurs instruments, donc l'accordéon ! – à la musique cadienne, mais celle-ci est le pur fruit du métissage avec celles ramenées par les populations locales : colons francophones et esclaves noirs parlant non pas l'anglais mais le créole ; évitons la confusion, parlons de musique cajun !

 

4 : On me dit à l'instant que je viens de perdre mes derniers lecteurs. Gosh...

 

5 : Un homme à la carrière stupéfiante qui fabrique aujourd'hui, aux États-Unis, des guitares considérées comme de petits bijoux.



13/03/2014
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