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Quid Novi Rock'n'roll ?

Guitar Heaven : The Greatest Guitar Classics Of All Time, Carlos Santana, 2010

PREMIÈRE PUBLICATION SUR POP SUCKS, ROCK ROCKS EN JANVIER 2010


 

 

Toute dernière chronique de ce mois de janvier décidément bien chargé ; je vous l'avais promis et la foule voyeuriste se presse désormais en masse au pied du gibet pour assister au carnage : l'ami Carlos va aujourd'hui découvrir un usage peu connu de la corde de mi grave.

 

C'est franchement avec moi-même la mort dans l'âme que je me résous à une aussi sinistre extrémité – et un plaisir sadique un peu tordu aussi – mais il faut reconnaître que cette fois le guitar hero le plus sympathique au monde a été trop loin ! Stop, cessons le massacre ; rendez-nous Santana ! Le Santana libre, pas cette petite chose docile traitée comme une vache à lait par cette saloperie de Clive Davis – producteur éclairé quand il s'agit de faire pleuvoir le pognon ; on le préférait du temps de Neil Young que de celui d'Alicia Keys...

 

 

Sur le papier pourtant, nonobstant le côté « rock pour les incultes », cet album avait de quoi être séduisant : le guitariste reprenant quelques uns des standards les plus emblématiques du, blues, rock et hard rock, ça éveille tout de suite la curiosité – ou la nostagie pour les dinosaures que De Caunes décrit amoureusement comme les « vieux cons ». Et il y a de tout : Led Zeppelin, the Rolling Stones, Howlin Wolf, the Beatles, AC/DC, the Doors, Deep Purple ; le choix des titres s'étant fait pour moité du côté de Davis, l'autre moitié revenant logiquement à la moustache et son maître. Ces-derniers donnent même des précisions sur la méthode de travail et de choix de Clive Davis : « Il a retrouvé un exemplaire du magazine Rolling Stone avec le Top 50 des meilleures chansons rock de tous les temps ainsi que le classement des cinquante meilleurs guitaristes de tous les temps. C'est de là que lui est venue l'idée de Guitar Heaven. » (1) Toujours sur le papier, les choses se gâtent rapidement quand on jette un oeil au choix des chanteurs qui viennent, tels des sidemen, poser leurs voix sur les chansons : Chris Cornell d'Audioslave et Soundgarden, Chris Daughtry, ex-American Idol, NAS, le célèbre rappeur américain, Chester Bennington de... Linkin Park – c'est dire si on touche le fond – Joe Cocker et même Roch Voisine – sur l'édition collector uniquement pour le cas de ce-dernier, Dieu merci, je ne suis pas en sa possession. Précisons d'ailleurs que certains d'entre-eux n'ont même pas croisé l'ami Carlos, ce qui vous laisse imaginer toute l'ampleur de leur implication artistique.

 

Car, désolé pour eux, mais ils viennent presque faire le tapin. Aucune personnalité n'émane de toutes ces voix dont la grande majorité est tout de même intéressante : la production fera saigner les oreilles du plus endurci des mélomanes. Les voix ont suivi le traitement de choc de toute bonne production pop actuelle : compression dégueulasse, de-esser, auto-tune, reverb, truelle numérique, etc... Tout ou presque dans Guitar Heaven n'est que jeunisme démagogique et imbécile ; si le concept était tout à fait louable avant de se retrouver sur les bandes du studio, il laisse apparaître toute sa vacuité artistique et son formatage pop quasiment à la moindre note. D'un concentré de vieux tubes efficaces, on a fait un concentré de tubes dépoussiérés et passés à la moulinette de la production outrancière pour en faire un produit calibré au mieux sur les études de la music industry qui démontrent qu'il faut faire « ci » et surtout « ça » pour qu'un disque cartonne ; un étron de ringardise même pas drôle. « but it doesn’t matter who is singing because every track is produced as a pop tune, not a rock song. » (2) lit-on sur allmusic.com qui résume admirablement bien la situation et qui me donne l'occasion de préciser que le terme « pop » au sens où il est employé – qui est aussi le mien – renvoie à sa notion anglo-saxonne qui est un peu différente de la notre ; comprenez que ce n'est pas un genre musical qui est visé, mais une certaine façon de concevoir, produire, vendre et faire vendre la musique. Parmi les horreurs dont nous serons témoins à l'écoute de Guitar Heaven, While My Guitar Gently Weeps, de George Harrison, qui a dû se démolir le crane sur le couvercle de son cercueil, se positionne dans le peloton de tête en laissant entendre une chose dont on craint de dire le nom mais qui tend à la guimauve la plus indigeste avec son nappage de choeurs dégoulinant et sa production rose bonbon qui s'avère puissamment crispante(3). Citons aussi Dance the Night Away de Van Halen ; si l'original ne figure déjà pas parmi mes chansons favorites, loin s'en faut, cette reprise pourrait arriver à provoquer chez moi l'équivalent d'une quinzaine d'arrêts cardiaques. Quant-à Back in Black d'AC/DC avec NAS, les mots me manquent pour décrire l'ampleur du désastre même si, n'étant vraiment pas fan du groupe australien, j'étais ouvert à toutes les propositions. Smoke on the Water garde le côté hard rock un peu con-con, coin-coin de Deep Purple et y ajoute ce que le « rock » formaté pour jeune public fait de pire en terme de scories musicales ; c'est indigeste tout également.

Quelques chansons arrivent tout même à se rendre « écoutables », mais c'est presque par dépit, une fois qu'on s'est farci tout le disque et qu'on a vérifié qu'on ne rêvait pas, elles s'avèrent un peu moins exécrables. Un peu moins exécrables, certes, mais jamais originales ni franchement intéressantes. Whole Lotta Love de Led Zeppelin, par exemple, est loin d'être ignoble avec son rif toujours aussi efficace, tout comme Riders on the Storm des Doors qui consent quelques efforts en faveur d'une instrumentation moins tape à l'oeil que sur le reste du disque. Little Wing de Jimi Hendrix où la voix de Joe Cocker apporte un peu de chaleur salutaire et I ain't superstitious qui offre un peu de blues électrique avec le jeune Jonny Lang sont de petits bols d'air vicié sinon moins empoisonné que le reste de cet album décidément particulièrement imbuvable.

 

Pour terminer, on ne peut reprocher à Santana de nous livrer de la mauvaise musique : c'est en place, ça joue grave, on sent plus ou moins la touche du bonhomme avec quelques très belles parties de guitare, etc... Même le concept de l'album de covers de standards n'a rien de scandaleux, je peux vous dire qu'en écoutant Annie Lennox reprendre A Whiter Shade of Pale ou Train in Vain sur l'excellent album de reprises Medusa (1995), je me suis dis que même avec une production encore plus orientée pop on pouvait faire de la très bonne musique. Non, ce qui est insoutenable sur Guitar Heaven c'est cette espèce de matrice qui lui sert de moule et qui finit par occulter tout ce qui aurait pu être intéressant ; on est dans la pure séduction, dans le lyrisme empirique, le tempo de laboratoire, dans les paillettes de merde. Les années 80 sont toujours là, leur héritage dans la conception de la musique de studio et la mutation perverse du monde du disque a juste pris une couche de lustrant, une mise-à-jour froide et calculée. Quand un musicien du calibre de Santana se retrouve au milieu de tout ça, on touche à ce que l'industrie musicale peut faire de plus démoralisant, de plus désincarné. Beurk !

 

1 : « Santana, Au paradis de la guitare » in Guitar Part n°199.

2 : La critique de Allmusic.com.

3 : Bien qu'assez rose bonbon elle aussi, l'originale avait tout de même beaucoup plus d'allure...



03/07/2013
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