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Quid Novi Rock'n'roll ?

Patti Smith – Horses, 1975

L'année 1975 coupe en deux ma décennie préférée en matière de musique. C'était pourtant quelques milliers d'années avant ma naissances si l'on considère la vitesse avec laquelle le monde de la musique, tout inféodé aux modes qu'il est, évolue dans ce monde où l'industrie du divertissement est une des plus grosse mannes du système économique occidental. Rien qu'entre ma naissance et aujourd'hui les courants musicaux ont traversés plus des styles dominant que Nina Hagen n'a eu de révélations spirituelles. En 75, nous étions quelque part après les protest-songs et le folk Dylanien et l'émergence du punk et des courants plus destroy du rock. Prenons quelques albums et quelques événements de cette année 1975 pour bien situer le contexte : Diamonds & Rust de Joan Baez se situe bien entendu dans la continuité de la tradition folk portée aux nues par ce cher vieux Zimmy, Born to Run de ce cher vieux Springsteen fait un carton et est désormais un classique du... classic rock, Nougaro sort Femmes et Famines – qui n'a rien à faire dans le paysage que nous essayons de peindre, mais c'est sur cet album, par ailleurs très bon, que vous pourrez entendre « Tu verras (O Que Sera) » qui est une incroyable chanson –, John Lennon sort son album de reprises, Rock'n'roll, Elvis fête ses quarante ans et, consciente qu'il est temps que les jeunes gens s'emparent du rock'n'roll, Patti Smith débarque avec Horses, premier album du Patti Smith Group, classique parmi les classiques.

 

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Patti Smith fait partie des rockeurs classés comme intellos ; bien que née à Chicago, elle est un pur produit de la scène New-Yorkaise où les influences et les courants se fracassent les uns contre les autres avec quand même pas mal de remous de hype et de branchitude dan l'onde de choc... Ses influences à elle sont multiples et elle parvient à mettre son âme de poétesse et sa fougue de rockeuse au diapason, son penchant éminemment littéraire et une rage purement punk mêlés grâce à la musique. Le vrai tour de force de Patti Smith est de rendre tout ça parfaitement cohérent, écoutable et même franchement génial dans le cas de Horses. C'est Lou Reed lui-même qui a suggéré à Clive Davis – alors chez Arista Records, label distribué par BMG aujourd'hui propriété de Sony Music – de faire signer chez lui la jeune poétesse bohème. Deux événements vont alors profiter énormément au succès de la chanteuse et donc du disque. Le premier événement survient moins de deux mois avant l'enregistrement et va fournir un petit coup de pouce promotionnel ; le 26 juin 1975 le Patti Smith Group tout juste constitué se produit à l'Other End Club et compte dans son public ce cher vieux Zimmy qui vient féliciter les musiciens en coulisses où est prise une photo qui fera immédiatement la couverture du SoHo Weekly News(1) ; la diffusion réduite du magazine n'enlève rien au fait, qu'officiellement, Patti Smith et son groupe posent aux côtés de Bob Dylan, ce qui est déjà une preuve de reconnaissance en soi. Le deuxième événement est l'arrivée de John Cale à la réalisation de l'album : « […] minutieux et infatigable, vite en guerre avec le groupe(2). Il réorganise et réarrange tous les morceaux avec soin et décuple la qualité de l'album enregistré en août-septembre 1975 au Studio Electric Lady(3) ». Il est certain que si les musiciens de Patti Smith sont suffisamment solides pour assurer sous la direction tyrannique de Cale et que le guitariste Lenny Kyle – qui officie encore aujourd'hui aux côtés de Patti Smith – est très bon, il manquait encore au tout jeune groupe une maturité artistique pour pondre un disque suffisamment intéressant d'un pur point de vue musical. À ce niveau, Cale a tout bon : il assure. Les arrangements ont de la gueule sans être pompeux et les musiciens sont effectivement pressés comme des citrons pour donner le meilleur d'eux-mêmes. Après, c'est aussi à la prod' John Cale que vos oreilles devront faire face et là, il faut aimer... C'est mon cas, donc ça ne me perturbe pas outre mesure, mais sachez que chez John Cale, les fréquences basses sont coupées. Oui, coupées. Bon, il a déjà proposé des traitement plus radicaux en la matière, mais sa « patte » est bien là. Le disque met en avant les sons tranchants, incisifs. Pour le coup, cela profite beaucoup à la guitare de Lenny Kyle sur un « Free Money » aux rythmiques très précises et, d'une manière générale, cela donne une bonne puissance de feu à tous les petits chorus acérés qui sont balancés au feeling, souvent au petit bonheur la chance, mais dans un pur esprit rock'n'roll.

 

La vraie star, que je vous gardais pour la fin, c'est bien sûr Patti Smith. Là, c'est comme pour la « prod' à John Cale » : il y a une ligne invisible qui sépare les auditeurs selon leurs subjectivités et en fonction du côté de la ligne où il se situent, certains adoreront et d'autres dégobilleront sur leurs pompes. Je suis bien sûr du côté de la ligne où rien ne quitte mon estomac par ma bouche, mais je comprends parfaitement que la voix de Patti Smith puisse taper sur le système. C'est une chanteuse qui passe par l'énergie, la transe et qui ne se soucie que rarement de tout le reste : justesse, sobriété, subtilité, maîtrise ? Rien à foutre. Mes plottes Charlottes. Tout à burne. À boire ou je tue le chien. Du coup, la voix – au timbre indéfinissable au passage – part en couille, fait des détours par le monde merveilleux des hurlements et des onomatopées, fait un noeud, rebondit, passe du murmure au crachat vocal en l'espace d'un seul mot, bref fait un peu tout et n'importe quoi, mais toujours avec une rage habitée qui effectivement pourra transporter les uns dans sa folie ou scier lentement les nerfs des autres avec le bout tordu et émoussé d'une petite cuiller rouillée. En ce qui me concerne, je pense que c'est le seul moyen de balancer de la poésie sophistiquée dans du rock : la vivre à plein, sinon c'est juste une branlette. Comme chez un Leonard Cohen, qui a certes des méthodes beaucoup plus mesurées, c'est l'intensité qui est visée. Il y a chez Patti Smith des saillies qui viennent des symbolistes français autant que du plus cinglé des prêcheurs évangélistes, une transcendance des mots vers le corps et, bordel de Dieu !, ce n'est pas que dalle ! Pour ceux qui seraient du côté de la ligne où l'écoute d'une telle chose est un calvaire sans nom, sachez que cette drôle de créature a mis (un peu) d'eau dans son vin avec ses albums suivants – s'ils sont du coup moins marquants que Horses, ils sont aussi beaucoup plus accessibles aux réfractaires de ces interprétations outrancières.

 

Je voulais finir par vous parler des chansons en elles-même, mais j'ai trouvé beaucoup mieux dans le bouquin de Patti Smith herself : Just Kids (4). Juste quelques lignes que je vous retranscris ici et qui sont un joli témoignage de ce que fut la création de cet album incroyable qu'est Horses.

 

Le 2 septembre 1975, j'ai poussé les portes du studio Electric Lady. En descendant l'escalier, je n'ai pu m'empêcher de repenser à la fois où Jimi s'était arrêté pour bavarder un instant avec une jeune fille timide. Je suis entrée dans le studio A. John Cale, notre producteur, était à la barre, et Lenny, Richard, Ivan et Jay Dee installaient le matériel sur le plateau d'enregistrement.

Au cours des cinq semaines suivantes, nous avons enregistré et mixé mon premier album, Horses. Jimi Hendrix n'est jamais revenu pour créer son nouveau langage musical, mais il a laissé derrière lui un studio qui résonnait de tous les espoirs qu'il plaçait dans l'avenir de notre voix culturelle. J'ai eu tout cela en tête dès le premier instant où j'ai pénétré dans la cabine de voix. La gratitude que j'avais envers le rock and roll pour m'avoir permis de réchapper d'une adolescence difficile. La joie que j'éprouvais quand je dansais. La force morale que j'avais conquise à force d'assumer la responsabilité de mes actes.

Toutes ces choses étaient encodées dans Horses, ainsi qu'un hommage à ceux qui nous avaient pavé la voie. Dans « Birdland », nous nous embarquions avec le jeune Peter Reich dans l'attente que son père, Wilhelm, descende du ciel pour le délivrer(5). Pour « Break It Up », Tom Verlaine(6) et moi avons écrit sur un rêve dans lequel Jim Morrison, enchaîné comme Promothée, se libérait soudainement. Dans « Land », l'imagerie des garçons sauvages se fondait avec les étapes de la mort de Hendrix. Dans « Elegie », une remémoration d'eux tous, passés, présents et futurs, ceux que nous avions perdus, ceux que nous étions en train de perdre et ceux que nous perdrions à la fin(7).

 

Un dernier élément est mythique dans cet album : sa jaquette. La photo a bien entendu été prise par l'âme soeur de Patti Smith, le photographe Robert Mapplethorpe – d'ailleurs, bien que leur relation amoureuse n'ait duré que trois ans, le livre Just Kids parle presque exclusivement de sa relation avec Mapplethorpe, preuve s'il en est besoin de l'aspect indestructible de leur lien.

 

Quelques jours plus tard [après la séance photo de Horses, n.d.a], il m'a montré la planche-contact.

« Dans celle-ci, il y a la magie », a-t-il affirmé.

Lorsque je la regarde aujourd'hui, ce n'est jamais moi que je vois. C'est nous(8).

 

Pourtant, et je ne vous en parle que parce que je trouve ça marrant, ce « portrait androgyne qui bouleverse l'image de la femme dans le rock [a été refusé par Arista] en raison du duvet qui apparaît [ces mecs avaient assurément des yeux bioniques, n.d.a] sur la lèvre supérieure de la chanteuse(9) ». Le cliché a finalement été retenu car le contrat de Smith lui garantissait le contrôle total sur son disque. Elle se vengera sans vergogne quelques années plus tard en exhibant une aisselle velue sur la jaquette de Easter (1978).

 

Faites attention à la ligne ! Je vous aurais prévenu ! Ce n'est pas de la blague ! En revanche, je suis catégorique sur un autre point : qu'importe le côté de la ligne qui est le votre, il faut connaître Horses. C'est un grand album, une perle, un joyau et quoi qu'il en soit le témoignage d'une époque passionnante de la musique moderne.

 

 


NOTES :

1 : Le quartier de SoHo se situe dans Manhattan et a été le quartier des artistes durant les années 60 et 70. Le SoHo Weekly News, lancé par Michael Goldstein en 1973 était un modeste journal à ses début mais a vite rencontré le succès parmi les artiste et la population branchée de New-York City, labélisant pratiquement un quartier. Le magazine a été ressuscité en 2002 par d'anciens membres de l'équipe via un site internet qui ne semble plus guère actif mais qui a le mérite d'exister et de témoigner de cet épisode : www.sohoweeklynews.com/ .

2 : On trouve néanmoins une version live totalement punk de « My Generation » des Who sur l'édition remasterisée de 1996 où Cale est invité à tenir la basse. Pas rancuniers. Je vous recommande beaucoup cette version au passage. C'est très bourrin, mais c'est génial.

3 : Michka Assaya (sous la direction de), « Smith (Patti) » in Dictionnaire du Rock, Coll. Bouquins, Robert Laffon, Paris, 2000 (première édition), p. 1766

4 : Patti Smith, Just Kids, Harper Collins Publishers, Denoël pour la traduction française de Héloïse Esquier, 2000

5 : Wilhelm Reich était un psychiatre et psychanalyste autrichien, disciple de Freud et surtout une personnalité aussi controversée que haute en couleur. Il est l'inventeur et le principal théoricien du concept tout aussi controversé « d'orgone ». Il est mort en prison aux États-Unis en 1957.

6 : Le leader du groupe Television assure également les guitares sur ce morceau.

7 : Just Kids, Op. cit., p. 338-339

8 : Ibidem, p. 342

9 : « Patti Smith », Dictionnaire du rock, Op. cit., p.1766



05/12/2014
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