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Quid Novi Rock'n'roll ?

Woodie Guthrie, une jeunesse américaine

PREMIÈRE PUBLICATION SUR POP SUCKS, ROCK ROCKS EN JUIN 2011

 

Bonjour tout le monde. Pas de véritable chronique pour aujourd'hui je n'ai vraiment pas le temps, mais un petit passage tiré du long texte « Ma biogaphie » de Woody Guthrie trouvable uniquement -enfin, à ma connaissance – dans l'édition française de Cette machine tue les fascistes – c'est ce que Guthrie avait écrit sur la table de sa guitare – ou aux Woody Guthrie Archives de New York(1) sous le titre Born to win, avec quelques menues différences.

J'aime énormément ce petit passage où le folkeux d'Oklahoma raconte sa jeunesse, car il y a tout, un vrai western moderne : l'exode des Okies vers la Californie, le voyage clandestin à bord des trains de marchandises, les premières revendications sociales, toujours détachées d'idéologie à ce moment de sa vie, l'âpreté, les boulots merdiques et éreintants, la rudesse sauvage, les lampés d'eau de vie et les roulbac' de cowboys empoussiérés de désert. En fait, Kerouac aurait apprécié les années 30... sans doute.

Et puis j'aime le côté flamboyant de ce bonhomme, son intransigeance, sa tête de mule, là où d'autres seraient naïfs et juste assez cons pour prendre n'importe qu'elle doctrine et s'y agripper comme un paresseux à sa branche, Guthrie voit la réalité dans son exactitude absolue mais oppose toujours son grand coeur aux froids calculs. Une tête de con, assurément, mais aussi une plume pleinement populaire, sans inutiles licences et pourtant une force incroyable, même encore aujourd'hui – écoutez I Ain't Got No Home : « I ain't got no home in this world anymore », si vous ne me croyez pas –, un pur américain en fait, opiniâtre et sec comme un chercheur d'or, déchiré par la souffrance des autres, un pur américain pas vraiment comme les autres.

 

Bonne lecture.

 

 

[…] nous nous sommes tous fait prendre de l'autre côté de la frontière un soir, et menacer d'arrestation. Nous avons pris peur parce que nous avions travaillé au Mexique sans permis, et nous avons cavalé vers la barrière une nuit où il pleuvait, et ils ont laissé tout le monde rentrer à la maison sauf moi. Ils m'ont gardé pendant plusieurs heures en me posant des questions, puis ils m'ont dit encore une fois que j'étais un « communiste », et que je devais quitter le pays. Je leur ai dit : « Eh bien, les gars, je sais même pas ce que c'est un communiste. J'en ai jamais vu un que je puisse reconnaître. Je sais même pas ce que ça veut dire, mais je vais vous dire une chose, maintenant ! Je remonte à Los Angeles et je vais reprendre mon emploi sur KFVD (2) et travailler là-haut trente minutes par jour, et moi et Lefty Lou (3) tous les deux on va parler au monde entier de cette sale bande de brigands qui volent l'argent des gens en leur fourguant tous ces vieux remèdes bidons et cette cochonnerie de dire la bonne aventure. Et pour ce qui est du « communiste », je m'en vais regarder jusqu'à ce je trouve qui ils sont, et je m'en vais les rejoindre et être l'un deux pour le restant de mes jours ! » (J'ai dit ça en me retournant par-dessus mon épaule, depuis le côté américain de la barrière.)

Jeff et sa femme ont continué pour rentrer au Texas, et Leon a pris un « marchandise » pour remonter la côte ouest avec sa guitare. Lefty Lou et moi on est retournés à KFVD et ils nous ont remis à l'antenne pour une heure par jour, trente minutes le matin de bonne heure, et trente minutes à minuit. Nous avons reçu plus de vingt mille lettres de fermiers, ouvriers de la ville, gens du cinéma, vaisseaux en mer, chercheurs d'or, rats du désert, ranches pour touristes, cabanes dans les montagnes, taudis, bas-fonds, logements ouvriers, églises, écoles, et gens de toutes sortes et couleurs.

J'ai été aux côtés du syndicat dans toutes les discussions et j'ai discuté en vue de salaires plus élevés pour les cueilleurs de coton, les travailleurs des orangeraies, les cueilleurs de fruits, les ouvriers des conserveries, les employés de cinéma, et j'ai râlé contre William Hearst, Herbert Hoover, contre l'état de magouille installé sous le gouverneur Merriam, et contre la chasse aux sorcières rouges par Harry Bridges et pour tous les autres leaders syndicaux, et pour qu'il y ait des droits égaux pour toutes les races de gens, Hindous, Japonais, Chinois, Okies, Arkies, Texans, réfugiés du Bol de Poussière et travailleurs itinérants. J'ai injurié les loyers élevés, les propriétaires qui vous volent et le racket des agents immobiliers véreux, les requins du prêt sur gages, les compagnies financières, et les politiciens tocard à les échelons. Nous avons chanté pour des maisons mieux et des loyers moins chers, pour des salaires plus élevés et des prix plus bas, et pendant deux ans (en tout) c'est comme ça que ça c'est passé. Lefty Lou a fini par repartir vers le nord à Chico, où son père et sa mère avaient loué une petite ferme. J'ai été à leurs crochets pendant un petit moment et puis j'ai vu tellement de boulot pourri et de gens mourant de faim tout autour de moi que je suis redescendu à Los Angeles après un petit bout de temps pour me retrouver de nouveau sur KFVD. Cette fois-ci, tout seul. Rien que moi, mon harmonica et ma vieille guitare.

 

Woodie Guthrie, « Ma biographie » in Cette machine tue les fascistes (Born to win pour l'édition originale américaine de 1965), (recueil de textes choisis par Robert Shelton, traduction de Jacques Vassal), coll. Rock'n'folk, Albin Michel, Paris, 1978(4).

 

 

  1. : Allez jeter un oeil ici : http://www.woodyguthrie.org

  2. Une station de radio.

  3. Une folkeuse gauchère, partenaire de Guthrie à l'époque et les quelques années suivantes.

  4. Ouais, je sais, normalement je n'ai pas le droit de reproduire un passage aussi long... Mais, hein, c'est pour l'art !



11/07/2013
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