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Quid Novi Rock'n'roll ?

Iggy & the Stooges – Raw Power, 1973

« Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera », aurait dit Napoléon. « Quand on étudiera Raw Power dans les cours de musique à l'école, ça va chier », aurait répondu l'auteur de ces lignes.

 

Parce que dans la sphère des putains d'albums, Raw Power se pose là. Tous les albums des Stooges auraient pu faire l'objet de la chronique d'aujourd'hui ; The Stooges (1969) pour commencer, enregistré, comme le premier album éponyme de the Jim Jones Revue, dont je vous parlais la semaine dernière, en 48h pétantes, ou encore Fun House (1970), chef-d'oeuvre absolu. J'ai choisi Raw Power, de très loin mon favori, parce qu'il est au-delà des deux autres réunis. Du premier, il garde la sauvagerie et la puissance sexuelle et primitive ; du second, il conserve le son plus étudié et les incursions absolument non-maîtrisées, mais beaucoup plus musicales, dans le domaine du psychédélique pas pour déconner. Pas pour déconner ? Bien que « relatively sober »(1) pendant les enregistrements de Raw Power, les Stooges étaient partis si loin pendant les quelques années qui ont suivi Fun House que le groupe avait littéralement explosé, le bassiste Dave Alexander étant remercié pour avoir « joué faux », le batteur Scott Asheton manquant de peu de se tuer en écrasant le camion avec le matériel du groupe contre un pont et le contrat avec Elektra n'étant, assez naturellement, pas renouvelé... D'abord privé totalement de groupe, le soutien précieux, à ce moment précis et pour tous les autres moments foireux de la carrière d'Iggy Pop, de David Bowie permit notamment de convaincre Tony DeFries de présenter l'allumé de première à Clive Davis à qui il chanta – selon la légende assez fréquemment évoquée – quelques chansons à quatre pattes sur son bureau et d'ainsi décrocher un contrat avec Columbia. Arrivé en Angleterre, Iggy ne trouve personne d'assez cinglé pour l'accompagner. Recomposés, avec l'arrivé de James Williamson qui fait chuter l'autre frère Asheton, Ron, du poste de guitariste à celui de bassiste, les Stooges sont de retour. Le nouveau venu est pour beaucoup dans l'enfantement de Raw Power puisqu'il a écrit beaucoup de chansons en compagnie d'Iggy. Ces chansons sont parmi les meilleures. Ceci n'empêchera pas le groupe de connaître une fin à la mesure de sa propre légende, après l'abandon de leur manager, Tony DeFries : « Raw Power can destroy a man ». C'est peu dire. Cette fin, « … [elle] sera abrupte. […] Iggy Pop, bourré d'alcool et de drogues diverses, s'avère le plus souvent incapable de tenir debout, vomit sur scène et ruine définitivement la réputation du groupe auprès des organisateurs de concerts. Scott Asheton, devenu à moitié fou, se promène en permanence avec une serviette sur la tête. À Max's Kansas City, Iggy Pop cherche à se couper la veine jugulaire avec un tesson de bouteille et s'ouvre le torse, crachant des jets de sang. »(1) Wouuhouuuu !

 

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Raw Power fut donc le chant du cygne d'Iggy & Stooges, mais il est aussi, encore de nos jours, un véritable cri de ralliement pour toute la scène rock (il aurait été l'album favori de Kurt Cobain, entre-autres) et surtout pour toute la scène punk, encore en devenir à l'époque, en 1973. Rien que sur cet unique album figurent trois de mes chansons préférées : Shake Appeal, loin en tête, Gimme Danger et I Need Somebody. Les mots manquent pour décrire un tel chaos sonore ; ça semble pourtant construit l'espace d'une seconde, puis plus du tout, ça part en couille. La guitare prend un solo à la limite du temps et de la justesse. Iggy fait semblant de chanter pendant quelques mesures et se met à pousser des cris, comme un animal. Seule la fraternelle section rythmique semble marteler avec une rigueur mécanique mais une rage primitive, la même rengaine percussive, encore et encore, sans que ça bouge d'un poil. Bien entendu, on a aussi le droit à des barrages en couille totalement psychédéliques comme sur la chanson titre ou encore sur Death Trip dont un gosse pourrait, à peu de choses près, jouer le solo de guitare si on lui faisait prendre la quantité appropriée de drogue appropriée(4). Pour résumer cet album, trois mots sont nécessaires : sauvage, rock'n'roll, cinglé.

 

Concernant le son, on pourrait dire qu'il n'a pas d'importance, car comme le dit si bien Kris Needs dans le livret de la dernière édition en date : « Raw Power can't sound dated as it was never made for any time. »(5) Néanmoins, nonobstant le fait qu'il est quand même absurde d'occulter la dimension sonore d'un disque, l'histoire du mix elle-même est intéressante. Le premier mixage à atterrir chez les producteurs est l'oeuvre d'Iggy Pop lui-même. Panique et hurlements, tout le monde court partout, totalement affolé ; il n'est même pas question que le disque sorte(6). Bowie reprend donc le mixage en main et forcément ça passe un peu mieux. En 1998, Iggy Pop ressort une nouvelle version de l'album, devenu totalement culte, mixée par ses soins. Enfin, en 2010, sort une nouvelle version, bâtarde mais excellente : le mix de Bowie remixé par Iggy lui-même. C'est cette version que je possède et elle est tout simplement merveilleuse. Tout est très compressé, mais la puissance des Stooges vient d'ailleurs que du simple respect de la dynamique. Le son tranchant, agressif et chauffé à blanc de la guitare de Williamson est génial, la guitare acoustique de Gimme Danger se place dans le mix comme papa dans maman et la grosse caisse et la basse sont lourdes et puissantes. La voix, enfin, est parfaitement géniale, lourds traitements garantis analogiques à l'appui, sans que jamais la sauvagerie et l'évidente dimension sexuelle ne soient ternies. Cette dernière édition contient aussi un live, Georgia Peaches enregistré At Richard's, Atlanta, en 1973... Et là, niveau son... c'est proche de la catastrophe. On jurerait que l'ingé-son de l'époque a planté un micro bas de gamme sur une perche au milieu de la fosse et s'est barré. Pourtant, ça déchire, sans conteste. Le choix de ce traitement brut renforce la prestation du groupe, en grande forme. Ce live permet surtout d'entendre leur nouvelle recrue, Scott Thurston, sur l'intégralité des chansons. « The band is slamming, and Iggy is in good voice and full of vigor […]. »(7) Effectivement ! Et puis c'est rock'n'roll à souhait : écoutez la guitare accordée avec le cul sur Open Up And Bleed qui conclue le live ! Le deuxième disque contient aussi deux inédits : Doojiman et Head On – une version enregistrée en répétition, une autre est présente dans le live. Le livret – bien que je n'en parle quasiment jamais – est foutrement intéressant aussi et si mes citations ne vous suffisent pas, je vous conseille de vous mettre en chasse chez votre disquaire, c'est un disque à posséder de toute manière.

 

Il est temps de conclure. Je ne vois aucun moyen au monde de rester insensible à l'écoute de Raw Power ; qu'on en tire du plaisir ou non sera un point de vue relatif aux goûts musicaux de chacun, mais se prendre un tel concentré d'énergie, de noirceur pessimiste et en même temps pleine d'acidité, de violence, c'est rouler une pelle à une grenade. Raw Power c'est 34 minutes de transe sauvage sous le pire cocktail de psychotropes que vous puissiez trouver. C'est un disque qui a marqué toute l'histoire du rock moderne, inspiré les punks tels Mick Jones (the Clash), Brian James (the Damned) ou encore Steve Jones (the Sex Pistols) et laissé un goût de crasse et de luxure sur tout un pan du rock arty pourtant plus habitué aux perruques et aux paillettes. On peut aimer ça par plaisir pervers, mais ça finira de toute manière par vous péter à la tronche.

 


 

NOTES :

 

1 : « Raw Power Got A Son Called Rock'n'Roll » de Brian J. Bowe in Iggy & the Stooges, Raw Power, Columbia, 2010

2 : « POP, Iggy(3) » in Michka Assayas (sous la direction de), Dictionnaire du rock, Robert Lafon, Bouquins, Paris, 2000 (première édition), p. 1417

3 : Oui, ils l'ont vraiment classé comme ça : Pop, Iggy...

4 : Drogue : mélange LSD/coke ; quantité : beaucoup.

5 : « The Stooges' Supernova Death Trip Revisited » de Kris Needs in Iggy & Stooges, Raw Power, Columbia, 2010

6 : Et ce n'est pas la première fois qu'un mix des Stooges est refusé pour son parti pris trop extrême. Je vous avais déjà parlé du mix du premier album éponyme signé John Cale qui avait été refusé par les producteurs. On trouve une paire d'exemples de l'horreur sonore que ça donnait sur l'édition 2CD de 2005, chez Elektra, toujours détentrice des droits.

7 : « Raw Power Got A Son Called Rock'n'Roll », op. cit.



19/09/2013
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